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scient. Raisonnable à demi, raisonnant beaucoup, prêt à faire aux objections des sacrifices provisoires, apte à prendre son point d’appui en dehors des conceptions délirantes qu’il n’a pas créées, auxquelles il a souvent résisté pendant une assez longue période de temps, il échappe. Ses convictions demi-morbides, demi-motivées, sont loin d’avoir l’assise inébranlable des conceptions délirantes. C’est tout un travail d’enquête psychologique, de discerner, au milieu de ces éléments assez confus, la part qui revient au contagium et celle qui appartient à la nature mentale du confident.

À un autre point de vue, l’aliéné subit la pression de celui qui s’associe à ses divagations, les encourage, les coordonne et les adapte plus ou moins à la vraisemblance. Pour que cette solidarité, dont ni l’un ni l’autre n’est conscient s’établisse, il faut un concours de circonstances dont il n’est pas impossible de se rendre compte.

L’aliénation brutale, en dehors des possibilités, ne sollicite pas et n’obtiendra jamais l’adhésion des assistants ; par contre, les délires qui côtoient la vérité ont d’autant plus de chance d’acquiescement, qu’ils s’accommodent mieux à un sentiment, ou comme auraient dit les théologiens, maîtres en casuistique morale, qu’ils flattent davantage une concupiscence humaine.

L’aliéné qui affirme un fait notoirement faux est à l’instant convaincu d’imposture. L’objet qu’il regarde n’est pas visible à ceux qu’il ne saurait entraîner dans la sphère de son hallucination ; la voix qu’il entend n’est pas perçue ; la persécution organisée, rendue publique par les journaux ou par les écrits, n’a à son avoir ni livres, ni feuilles périodiques. Il n’y a pas à dire qu’un autre aliéné pourrait être séduit ; les aliénés confirmés n’ayant jamais de ces docilités et restant maîtres absolus de leur délire.

Si, au contraire, le malade se maintient dans le monde des conjectures et des interprétations, si les faits qu’il invoque appartiennent au passé ou ne sont que des appréhensions pour l’avenir, le contrôle direct devient impossible. Comment prouver à un autre et à soi-même que l’événement, dont l’aliéné raconte les détails avec une prolixité persuasive, n’a pas eu lieu. La leçon qu’il s’est apprise à lui-même n’admet ni variantes, ni lacunes ; sa mémoire est topique parce qu’elle fait exception de tout, à l’exclusion des idées mala-