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incompatibles avec leur état pathologique ; le prosélytisme, quand il s’agit d’idées étranges auxquelles répugne la raison, n’est pas une œuvre facile, et elle n’aurait de chances de succès qu’en se dépensant dans une lutte infatigable. Or, l’aliéné vit étranger à l’opinion des autres ; il se suffit à lui-même et peu lui importe, tant sa croyance s’impose avec une autorité irrésistible, qu’on veuille ou non le suivre sur le terrain dont on ne le dépossédera pas.

Il s’établit ainsi une ligne de démarcation absolue qui n’admet pas de compromis.

Si la vie commune avec les aliénés est nuisible, et elle l’est souvent, ce n’est pas en vertu d’une contagion du délire. L’assistant ne se résigne pas d’emblée à subir le fait accompli ; il espère qu’une éclaircie permettra à la raison de ressaisir son pouvoir, et, fort de cette confiance, il entame l’éducation du malade. L’insuccès l’irrite ou le décourage ; il surmène sa force de résistance et l’épuise. Quand cette série de tentatives se prolonge avec les perplexités qu’elle entraîne, les caractères fortement trempés sont les seuls qui n’en subissent pas la fâcheuse influence. Plus les liens qui attachaient l’assistant à l’aliéné sont étroits, plus le zèle est ardent et la fatigue considérable. En revanche, les indifférents échappent à la fois à ce travail inutilement douloureux et à ses conséquences.

Les choses se passent ainsi dans la supposition d’un délire absolu en regard d’une intelligence correcte. C’est heureusement la condition la plus fréquente, mais il existe des cas où la scission entre l’aliéné et ceux qui vivent dans sa familiarité n’est pas aussi formelle, et c’est à ces faits exceptionnels qu’est consacrée cette étude.

Le problème comprend alors deux termes entre lesquels il s’agit d’établir une équation : d’une part, le malade actif ; de l’autre, l’individu réceptif qui subit, sous des formes et à des degrés divers, son influence.

Seul, livré à ses instincts pathologiques, l’aliéné est relativement facile à examiner ; il a le goût, l’appétit même d’énoncer les idées qui l’obsèdent, ou il se résout à un mutisme systématique qui n’est pas moins significatif. Une fois qu’on a pénétré dans la place, elle est d’autant plus aisée à explorer qu’elle est moins ouverte au monde extérieur.

Il en tout autrement de son complice involontaire et incon-