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la vie, de la fortune et de l’honneur de ces malheureux malades et de leurs familles ! Nous n’avons pas à insister davantage ici sur ce sujet, que nous avons déjà traité plusieurs fois devant la Société, non seulement à l’occasion des fous raisonnants, mais à propos de tous les aliénés en général ; mais nous sommes obligé d’avouer que l’argumentation, du reste si habile de M. Delasiauve, relativement à la situation mentale des pseudo-monomanes, n’a pas pu encore ébranler nos convictions à cet égard. Nous ne pouvons nous décider à abandonner le criterium généralement admis qui sert de base à notre législation actuelle, et qui peut se résumer ainsi : Tout aliéné, quel qu’il soit, doit être regardé comme absolument irresponsable légalement de tous les actes civils ou criminels accomplis par lui pendant la durée de son état maladif. Ce criterium absolu nous paraît encore le seul qui donne à la médecine légale des aliénés une base vraiment scientifique qui puisse placer le médecin-expert sur un terrain solide et inébranlable.

Je désire seulement aujourd’hui dire quelques mots de trois circonstances dans lesquelles la doctrine de l’irresponsabilité absolue des aliénés peut présenter certaines difficultés d’application, ou subir en pratique quelques adoucissements, tout en conservant en principe toute sa rigueur. Je veux parler des actes civils comparés aux actes criminels, des périodes de rémissions, intervalles lucides et intermittences, enfin, des états de trouble mental étrangers à la folie proprement dite.

1oActes civils. — Sous le rapport des actes civils signés par les aliénés raisonnants, on concevrait qu’il pût exister plus de doutes, dans l’esprit de quelques médecins, pour l’application de la doctrine de l’irresponsabilité de tous les aliénés sans exception, que pour les actes criminels accomplis par ces mêmes malades. On comprend, en effet, plus facilement qu’un malade atteint de délire partiel puisse être regardé comme capable de signer une procuration, de donner son consentement au mariage de ses enfants, ou même de rédiger un testament pouvant être reconnu valable, qu’on ne le conçoit punissable pour un acte réputé criminel. Sous ce rapport, les magistrats et les médecins sont même, en général, placés à deux points de vue diamétralement opposés ; les premiers, dans leurs décisions, semblent surtout avoir souci de la fortune et des intérêts matériels des aliénés et de leurs familles ; les autres, au contraire, sont plutôt préoccupés