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main, assistant en spectateur passif à cette fantasmagorie intellectuelle, est plus ou moins ému ou entraîné par elle, et cesse alors de pouvoir se diriger lui-même ; tantôt, au contraire, il est simple témoin attentif mais indépendant de cette succession rapide d’idées et de sentiments, et il conserve alors toute la liberté de son jugement et de ses déterminations, au milieu de cette tempête intérieure qui ne tarde pas à se dissiper au souffle de sa raison. Eh bien, dit M. Delasiauve, lorsque les actes accomplis par les pseudo-monomanes sont le produit des mobiles délirants, ou de la fascination morbide, ils doivent être attribués à l’état maladif, et l’individu doit être considéré comme irresponsable ; mais s’ils sont au contraire étrangers à la sphère du délire, s’ils se sont produits en dehors de son influence, le moi humain, ayant conservé toute sa liberté d’appréciation et de volonté, doit être regardé comme responsable des actes qui, loin d’être le résultat des mobiles délirants, ont été accomplis en parfaite connaissance de cause. Voilà comment la théorie de la responsabilité partielle chez les aliénés raisonnants est pour M. Delasiauve la conséquence naturelle de la manière dont il a conçu la pseudo-monomanie.

Pour notre part (nous l’avons déjà dit plusieurs fois au sein de cette Société), nous ne pouvons comprendre de pareilles distinctions et nous ne pouvons admettre ce mode d’interprétation des faits observés chez les aliénés, raisonnants ou autres. Cette doctrine nous paraît, non seulement fausse dans son principe, mais extrêmement dangereuse dans ses applications. Elle suppose une fragmentation des facultés humaines, une scission de la personnalité qui est contraire à l’observation, aussi bien chez l’homme normal que chez l’homme malade, et elle a l’inconvénient grave d’abandonner, dans la pratique, l’appréciation de chaque cas particulier à l’arbitraire et au caprice du jugement individuel de chaque médecin-expert. Qui pourrait se flatter, en effet, chez un aliéné accusé d’un crime ou ayant signé un acte civil, de doser avec exactitude le degré d’entraînement que le moi humain a eu à subir, à un moment donné, et le degré de résistance qu’il a pu y opposer ? Or c’est sur une appréciation aussi délicate que M. Delasiauve et les autres partisans de la responsabilité partielle des aliénés raisonnants, veulent faire reposer le criterium médico-légal qui doit servir à décider de