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Ce sont là trois termes inséparables d’un même phénomène. On peut concevoir la séparation des deux premiers termes, c’est-à-dire l’idée sans le mot destiné à la représenter. À chaque instant, en effet, dans l’état physiologique, il arrive qu’on a une idée sans pouvoir trouver dans sa mémoire le mot qui lui correspond. Pour que cette perte de mémoire des mots devienne pathologique, il faut donc qu’elle soit portée à un très haut degré, et qu’elle ait lieu relativement à la plupart des mots de la langue, et surtout aux mots les plus habituels. Mais il n’en est pas de même de la rupture produite par la maladie entre le second et le troisième temps du phénomène du langage, c’est-à-dire entre la mémoire du mot et son expression par la parole ou par l’écriture. À l’état normal, toutes les fois qu’on a dans l’esprit le mot correspondant à la pensée qu’on veut exprimer, rien n’empêche de traduire extérieurement ce mot par la parole ou par l’écriture, à moins que les organes du mouvement ne soient paralysés. Eh bien ! il n’en est pas de même dans un certain nombre d’affections cérébrales ; le rapport naturel entre le mot et son expression par la parole ou par l’écriture peut être brisé par la maladie. C’est ce que l’on a appelé la lésion du pouvoir coordinateur de la parole, dont plusieurs auteurs distingués ont cherché à placer le siège dans les lobes antérieurs du cerveau. Ainsi donc, dans les affections cérébrales, on constate trois ordres distincts de faits relativement aux altérations du langage, sans parler d’un quatrième qui tient à la paralysie des organes du mouvement, et dont nous parlerons plus loin à l’occasion des troubles de la motilité. L’idée elle-même peut manquer, comme cela a lieu dans les cas de démence prononcée ; alors la parole est supprimée par absence d’idées. Dans d’autres cas, l’idée peut exister ; mais, la mémoire des mots faisant défaut, le malade ne peut parvenir à faire comprendre sa pensée. Il emploie souvent alors un mot pour un autre, ou bien il n’a à son service qu’un petit nombre de mots, dont il se sert à propos de toutes choses, cherchant souvent à suppléer par le geste ou par l’intonation de la voix à l’insuffisance de sa mémoire pour faire comprendre sa pensée. C’est ce qu’on observe très fréquemment, soit avant les attaques d’apoplexie ou de ramollissement, soit dans l’intervalle de ces attaques. Les malades n’ont souvent alors aucun trouble dans les idées, ou du moins ne présentent qu’un affaiblissement intellectuel