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moins prolongée, une période de dépression très caractérisée et habituellement plus longue que la précédente. Aussi, lorsqu’on observe chez un aliéné un état d’exaltation maniaque, se manifestant plutôt par la surexcitation de toutes les facultés que par leur désordre, on doit toujours chercher s’il n’a pas existé auparavant chez lui une période d’affaissement également très tranchée, ou bien l’on peut prédire son apparition dans un temps plus ou moins rapproché. Car c’est là le fait le plus habituel. Néanmoins, pour rester dans la vérité de l’observation clinique, on doit ajouter que cet état mental particulier, consistant plutôt dans la surexcitation générale de toutes les facultés que dans leur désordre, peut aussi, dans quelques cas rares, exister seul pendant de longues années, sans être un stade prodromique de la manie franche ou sans alterner d’une manière régulière avec la dépression mélancolique. Or, cet état d’exaltation maniaque simple, qui se prolonge quelquefois pendant toute la vie de ces malheureux aliénés, constitue un des types les mieux accusés de ce qu’on est convenu d’appeler la manie raisonnante.

3oAprès ces deux variétés, nous devons encore insister sur une troisième qui, plus que toutes les autres, mériterait le nom de folie raisonnante, si ce mot devait être conservé dans la science ; nous voulons parler de ces aliénés raisonnants que le docteur Morel a fait figurer dans l’une de ses subdivisions de la folie héréditaire. Ces individus mal nés, au physique comme au moral, dégénérés, comme il les appelle, sont prédisposés dès leur naissance à la folie et passent pour ainsi dire toute leur existence dans un état permanent de folie raisonnante à divers degrés. Si l’on remonte dans l’histoire de leurs ascendants, on y découvre de nombreux exemples d’aliénation mentale et de maladies nerveuses : l’hérédité morbide est en quelque sorte accumulée dans la famille de ces aliénés, qui résument en eux la plupart des caractères maladifs de leur race. Dès leur enfance, ils ont ordinairement manifesté des facultés intellectuelles très inégalement développées, faibles dans leur ensemble et remarquables seulement par certaines aptitudes spéciales ; ils ont montré, par exemple, des dispositions exceptionnelles pour le dessin, le calcul, la musique, la sculpture ou la mécanique, des mémoires exceptionnelles pour les dates ou les événements historiques, et à côté de ces facultés isolément développées, qui les ont fait passer