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de tous ceux avec lesquels ils vivent ; mais ce système de persécution, n’ayant pas encore revêtu dans leur esprit une forme bien déterminée se maintient, pendant des années, à un degré de vague appréhension et reste entièrement renfermé dans leur for intérieur. Ce travail très lent de systématisation se fait à l’état latent et ne se formule pas dans des séries d’idées nettement accentuées. Les malades n’en font part à personne, concentrent tout en eux-mêmes et n’en laissent que rarement échapper au dehors de faibles linéaments. Néanmoins, leurs sentiments, leurs penchants, leur conduite tout entière, se ressentent de la manière la plus évidente de ce travail intérieur persistant de leur esprit malade ; ils fuient le monde, qui les heurte et les blesse de mille manières ; ils abandonnent leurs parents et leurs meilleurs amis ; leurs sentiments affectueux s’éteignent et se transforment en sentiments de haine et de répulsion ; ils se réfugient dans la solitude, renferment tout en eux-mêmes et ne sortent par moments de cet isolement et de cette concentration habituels que pour se livrer à quelques actes désordonnés, bizarres, violents ou nuisibles, qui donnent à la fois la preuve et la mesure du trouble qui existe dans leur intelligence et dans leurs sentiments. Eh bien, ces malades que l’on rencontre plutôt dans la pratique civile que dans les asiles d’aliénés, et dont l’état mental est souvent très difficile à diagnostiquer, sont fréquemment pris pour des aliénés atteints de folie raisonnante, parce que leur maladie se manifeste plutôt par les altérations des sentiments et des penchants et par la bizarrerie des actes que par le trouble intellectuel qu’ils parviennent à dissimuler aux observateurs même les plus exercés.

2oUne seconde catégorie de faits, qui fréquemment aussi est décrite sous le nom de folie raisonnante, est celle que l’on peut appeler l’exaltation maniaque. Nous en avons déjà indiqué les principaux caractères, en parlant de la période d’exaltation de la folie circulaire. Le plus souvent, en effet, les aliénés atteints d’exaltation maniaque, dont toutes les facultés sont surexcitées à la fois à un très haut degré, dont les idées, les sentiments et les penchants sont comme en ébullition, et dont les mouvements et les actes multipliés et incessants sont en rapport avec la fermentation générale de leur nature intellectuelle et morale, ces aliénés, dis-je, éprouvent, après cette période d’exaltation plus ou moins intense et plus ou