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niaque mais diffus), la chose doit être conservée, en changeant seulement le nom et en lui substituant celui de pseudo-monomanie que M. Delasiauve s’efforce de caractériser d’une manière spéciale. Pour établir cliniquement l’existence de cette forme nouvelle de maladie mentale, M. Delasiauve semble s’être inspiré de l’étude des délires liés aux maladies aiguës, ou des délires toxiques. De même que Moreau (de Tours)[1] s’est représenté le moi humain comme assistant, en spectateur passif, à un défilé de conceptions délirantes, d’impulsions, d’illusions et d’hallucinations, se succédant et se remplaçant sur la scène intellectuelle, de même M. Delasiauve semble avoir voulu appliquer cette même théorie à toute une catégorie d’aliénés atteints de délire partiel, qu’il a distingués, par ce caractère général, des autres monomanes tels qu’Esquirol les avait conçus. Pour M. Delasiauve, en effet, ce qui caractérise essentiellement la pseudo-monomanie, c’est la persistance de la conscience intime, au milieu d’une rêverie ou d’une fascination morbide. Le moi humain reste intact derrière cette fantasmagorie, que la maladie évoque devant lui et à laquelle il ne participe que par moments et d’une manière indirecte. Les émotions, les impulsions, les sentiments involontaires, les conceptions délirantes, les illusions et les hallucinations se produisent l’une après l’autre sous l’influence de la maladie : l’aliéné, à la fois acteur et témoin dans ce drame improvisé par son délire, est plus ou moins entraîné lui-même, selon les moments, dans le mouvement général de sa pensée, ou assiste plus ou moins indifférent à ce tableau mouvant qui se déroule devant lui dans cette rêverie morbide ; mais aussitôt que cette fascination a cessé de se produire, il reprend rapidement toute sa liberté morale et toute sa lucidité intellectuelle pour apprécier sainement cette fantasmagorie qui n’avait, du reste, jamais pu parvenir à lui faire complètement illusion sur sa réalité. Pour M. Delasiauve, il existe donc deux catégories distinctes d’aliénés atteints de délire partiel, les monomanes qui raisonnent juste en partant d’un point de départ faux, comme Esquirol les a décrits, et les pseudo-monomanes, chez lesquels le délire est diffus, multiple, mobile, et participe des caractères de la rêverie morbide

  1. Moreau (de Tours), le Haschisch ; 1845.