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paroxysmes et ne se rappelle que les événements accomplis dans l’état de rémission. Non seulement la mémoire se trouve ainsi fragmentée artificiellement par la maladie relativement à certaines périodes de l’existence, conservée pour les unes et effacée pour les autres ; elle peut être également présente pour certaines catégories d’idées ou de mots, et totalement absente pour d’autres. Ainsi, dans quelques affections cérébrales, on voit les malades perdre complètement la mémoire des dates, celle des noms propres, puis celle des substantifs, et conserver au contraire celle des autres parties du discours. On peut même établir à cet égard une sorte de proportion ascendante très remarquable, en rapport avec les lois qui président à l’acquisition successive des idées chez les enfants et à la formation des langues chez les peuples primitifs. On constate, en effet, que la mémoire des noms propres se perd avant celle des substantifs, que ceux-ci disparaissent avant les verbes, et qu’enfin les adjectifs, exprimant les qualités des objets, c’est-à-dire les idées les plus intimement unies avec eux, sont les derniers à disparaître dans la décroissance progressive de la mémoire humaine.

Un autre phénomène, également très curieux par rapport à la perte de certaines catégories de souvenirs, est relatif à la connaissance des langues. On a vu, à la suite d’affections cérébrales, des malades, connaissant plusieurs langues, les oublier toutes, et être obligés de les apprendre de nouveau, comme des enfants, après leur guérison ; on en a vu d’autres n’oublier qu’une ou deux de ces langues et conserver seulement le souvenir de l’une d’entre elles, ordinairement de celle qu’ils avaient parlée dans leur enfance ; enfin on cite un certain nombre de faits inverses, dans lesquels, au contraire, une affection cérébrale a fait renaître dans l’esprit le souvenir d’une langue anciennement connue, que l’on avait totalement oubliée depuis de longues années. Nous pourrions citer beaucoup de cas du même genre, qui se trouvent réunis par Forbes Winslow.

Troubles de langage. — Si nous avons choisi de préférence les exemples relatifs à la mémoire des mots, c’est parce qu’ils nous amènent à l’examen des troubles du langage, considérés comme signes des affections du cerveau. Dans l’état normal, il existe un rapport constant et nécessaire entre l’idée conçue par l’esprit, le mot destiné à l’exprimer, et sa traduction extérieure à l’aide de la parole.