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Ceci m’amène naturellement au second grief de M. Delasiauve contre moi, c’est-à-dife à l’application de la psychologie normale à l’étude des maladies mentales.

M. Delasiauve me reproche d’avoir manifesté du dédain pour la psychologie, sans laquelle, dit-il, la connaissance scientifique des maladies mentales n’est pas possible. Mais il y a évidemment, dans ce reproche ainsi formulé, un malentendu qu’il importe d’éclaircir. Je n’ai pas dit que, dans la médecine mentale, on dût négliger l’étude des phénomènes psychiques pour concentrer exclusivement son attention sur les phénomènes physiques. Les plus ardents défenseurs de l’école somatique n’ont jamais soutenu une pareille exagération. Les phénomènes intellectuels et moraux sont évidemment les véritables symptômes des maladies mentales. Aucun médecin ne peut les négliger, ni les passer sous silence ; ils seront toujours, quoi qu’on fasse, l’objet principal de l’observation des aliénistes. Mais autre chose est d’étudier cliniquement et médicalement ces faits psychiques, tels qu’ils se présentent chez les aliénés, ou de chercher à les connaître et à les interpréter, en se servant des procédés usités par les psychologues pour l’analyse de l’homme normal, que l’on se borne à importer purement et simplement dans la pathologie mentale. De tout temps, les écoles philosophiques régnantes ont exercé une influence prépondérante sur les doctrines médicales. À la fin du dernier siècle, les idées de Locke, de Condillac et de l’école sensualiste ont réagi puissamment sur Pinel et sur ses successeurs. Plus tard, d’autres écoles ont influé à leur tour sur les médecins spécialistes en France et à l’étranger. Mais toujours on a voulu appliquer à l’étude des maladies mentales les méthodes et les procédés adoptés par les philosophes pour l’analyse de l’homme normal. Or, c’est cette application particulière des procédés de la psychologie à la connaissance et au classement des maladies mentales que j’ai combattue, et non l’étude directe et clinique des phénomènes psychiques chez les aliénés, qui sera toujours la base principale de la pathologie mentale.

Sans doute M. Delasiauve, dans le discours auquel je réponds, comme dans ses précédents travaux, a eu le soin de proclamer qu’il ne regardait pas non plus les facultés intellectuelles et morales, admises par les philosophes, comme des forces absolument distinctes,