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À cette accusation je répondrai que cette question a été bien souvent traitée par les psychologues et les médecins aliénistes de tous les pays ; que beaucoup de grands esprits, parmi les philosophes et parmi les médecins, ont défendu la doctrine à laquelle je me suis rattaché ; que les arguments produits pour ou contre sont en quelque sorte épuisés et ne pourraient être que répétés ; que, du reste, cette question a déjà été discutée plusieurs fois dans le sein de notre Société et que, vu son importance, elle mériterait d’être examinée séparément et non d’une façon incidente, à l’occasion de la folie raisonnante. La doctrine de la solidarité d’action de toutes les facultés de l’âme, ou de leur fragmentation possible, chez l’homme normal et chez l’homme malade, est la base de la psychologie et de la médecine mentale, et chacun de nous appartient nécessairement à l’une ou à l’autre de ces deux écoles. Les uns croient que les facultés, admises par les psychologues pour l’étude de l’âme humaine, représentent réellement des forces distinctes, agissant séparément à l’état normal et pouvant être lésées isolément par la maladie ; ils vont même, comme les phrénologues, jusqu’à les localiser dans des points déterminés du cerveau ; les autres, au contraire, ne voient dans ces distinctions abstraites que des moyens de faciliter l’étude des faits complexes de l’ordre intellectuel et moral, et ne les envisagent que comme des aspects divers d’un même principe, indivisible dans son unité. Les partisans de cette seconde doctrine peuvent bien sans doute admettre des prédominances variées dans le développement relatif de ces divers éléments d’une force unique chez les différents hommes et des prédominances de lésion de chacune d’elles chez les aliénés, mais ils croient que l’action de l’une de ces forces entraîne toujours plus ou moins les autres dans le mouvement général de la pensée, et que leurs lésions sont constamment complexes à l’état pathologique. Ces deux doctrines sont tellement différentes, dans leurs principes et dans leurs applications, que les partisans de chacune d’elles ne peuvent se rencontrer dans les conséquences à déduire de ces principes sur le terrain de la pratique. Mais ce n’est pas ici le lieu d’insister sur cette question. Elle exigerait un examen spécial, et nous avons dû naturellement nous borner à énoncer le principe auquel nous nous rattachions, sans en entreprendre à nouveau la démonstration.