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serait tenté, à première vue, de leur accorder le droit de disposer d’eux-mêmes, de leur personne et de leurs biens dans l’ordre civil et dans l’ordre criminel. On comprend parfaitement, par exemple, que l’on puisse faire valider un testament rédigé par un malade atteint pendant sa vie de la variété de folie raisonnante que nous avons décrite précédemment et caractérisée par la crainte du contact des objets extérieurs, lorsque, en dehors de ces bizarreries de conduite et d’action, il semble avoir eu la parfaite notion de ses affaires et s’être très bien rendu compte de ce qu’il faisait en donnant son bien à telle personne plutôt qu’à telle autre. Mais, malgré ces difficultés, quelquefois très grandes, que l’on rencontre dans la pratique pour quelques cas exceptionnels, je reste néanmoins très convaincu, pour ma part, que même dans ces cas rares, il y a grand avantage à passer outre à ces inconvénients secondaires, et à proclamer le principe général qui seul peut tirer le médecin d’embarras dans les cas difficiles, qui seul répond à toutes les situations, coupe court à toutes les objections et permet de triompher de tous les obstacles, c’est-à-dire le principe de l’irresponsabilité absolue de tous les aliénés sans exception devant la justice, dans les affaires civiles comme dans les affaires criminelles.

Cependant, il reste encore aux partisans de l’irresponsabilité absolue de tous les aliénés pendant leurs accès, une dernière ressource pour faire valider, dans quelques circonstances, certains actes civils de ces aliénés ou pour les rendre responsables de certains autres, sans être infidèles à la doctrine générale. Cette ressource, c’est celle des intervalles lucides, des intermittences et même des rémissions très prononcées. Puisqu’on est forcé de reconnaître que l’état de folie n’a pas toujours existé chez un individu reconnu aliéné, et que de plus, il est susceptible de guérison, on ne peut s’empêcher d’admettre aussi qu’il existe des folies périodiques ou intermittentes, qu’il peut se produire chez les aliénés des intervalles lucides plus ou moins éloignés ou plus ou moins rapprochés, pendant lesquels ils peuvent recouvrer momentanément la raison et la liberté morale, et que, par conséquent, un homme déclaré absolument irresponsable dans un moment donné de son existence, peut être reconnu responsable dans un autre moment, quelquefois même assez rapproché. C’est dans ce sens seulement que peut, selon moi,