Page:Falret - Études cliniques sur les maladies mentales et nerveuses, 1890.djvu/533

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fait par lui peut être déclaré valable ; s’il conserve assez de liberté d’esprit pour donner son consentement au mariage de ses enfants ou pour signer une procuration ; enfin si, en accomplissant un acte réputé crime ou délit, il a eu une conscience suffisante de la valeur de cet acte, de sa nature criminelle ou punissable par les lois, du préjudice qu’il causait à autrui ou des conséquences qui en résulteraient pour lui-même, pour qu’on puisse le considérer comme responsable de cet acte, tandis qu’on le regarderait comme entraîné irrésistiblement pour certains autres. De là une foule de questions médico-légales secondaires, d’une solution extrêmement difficile, qui se présentent naturellement pour les partisans de la responsabilité partielle et qui n’existent pas pour ceux qui proclament l’irresponsabilité absolue de tous les aliénés.

Pour ma part, je ne fais aucune difficulté d’avouer que s’il est des aliénés qui se prêtent facilement à la théorie de la responsabilité partielle et qui, dans quelques cas rares, déconcertent singulièrement les partisans de l’irresponsabilité absolue, ce sont certainement les aliénés raisonnants. Lorsqu’on entend, par exemple, quelques aliénés ayant, par nature ou par suite de leur maladie, des instincts mauvais et pervers, se vanter publiquement de pouvoir commettre un crime impunément et pousser même d’autres malades à en faire autant, en leur démontrant que leur état de maladie les exemptera de tout châtiment ; lorsqu’on entend d’autres aliénés, affectés de penchant au suicide, raisonner leur projet, en calculer tous les moyens d’exécution avec le sang-froid et le calme apparent d’un homme sain d’esprit ; lorsqu’on entend enfin un malade, comme celui dont a parlé Legrand du Saulle[1], déclarer qu’il se sent entraîné irrésistiblement à se détruire, mais que, dans l’intimité de sa conscience, il a le sentiment profond que, s’il se livrait à une autre action coupable, il se croirait parfaitement responsable parce qu’il aurait la force d’y résister ; lorsqu’on constate, dis-je, de pareils faits, on se prend quelquefois à douter, alors même qu’on est profondément convaincu de l’impossibilité de poser une autre limite que celle de la maladie à la responsabilité et à l’irresponsabilité humaines ! Ces malades, en effet, sont souvent doués de tant de facultés qu’on

  1. Legrand du Saulle, Annales médico-psychologiques, t. I, 4e série, p. 225 ; 1863.