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On ne peut donc admettre un prototype de la raison qui consisterait pour ainsi dire dans l’absence de tout sentiment et de toute passion, type de la raison calme et impassible de certains hommes toujours semblables à eux-mêmes et immodifiables par les circonstances. Cet idéal de la raison n’existe pas dans la nature humaine, telle que nous la connaissons. L’équilibre des facultés est plus instable et plus mobile que ne le comporte ce tableau-type d’une raison absolue, et il faut se représenter l’homme à l’état normal sous une forme moins arrêtée et susceptible de beaucoup de modifications et d’oscillations. On est bien obligé de reconnaître, en effet, que les limites de l’état physiologique sont très variables selon les individus, et qu’elles peuvent osciller entre les deux extrêmes de la raison froide et de la passion exaltée.

Mais, ainsi que nous l’avons déjà dit dans la première partie de ce travail, ce n’est pas sur ce terrain mouvant des limites flottantes entre la raison et la folie que le médecin légiste doit chercher son point d’appui pour résoudre les questions délicates qui lui sont soumises ; c’est sur le terrain solide de l’observation médicale qu’il doit s’efforcer d’asseoir son diagnostic.

Or, deux procédés se présentent naturellement à l’esprit pour établir ce diagnostic dans les cas difficiles.

Le premier consiste à se représenter la raison en général et la folie envisagée dans son ensemble comme deux types contraires, et à chercher des caractères distinctifs entre ces deux types placés en face l’un de l’autre. Opposer la raison, considérée comme un être abstrait, à la folie, maladie unique ayant des caractères généraux, tel est, en effet, le procédé suivi par les philosophes, par les moralistes, par les magistrats, et même par les médecins aliénistes de notre époque. Or, ce procédé, insuffisant pour la plupart des folies, l’est bien plus encore pour les folies raisonnantes, qui ne diffèrent souvent que par le degré de certains caractères de l’étal normal.

Cependant ce procédé très imparfait de diagnostic est encore le seul que nous possédions aujourd’hui pour certains cas de folie raisonnante dont la description ne rentre dans aucune des catégories connues de maladies mentales. Mais c’est là évidemment l’enfance de l’art, et nous devons nous efforcer de diminuer de plus en plus