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autres, au contraire, n’ont que la mémoire des choses, des lieux ou des personnages ; les uns ont la mémoire de la vue et des visages, les autres possèdent à un haut degré celle des sons et des odeurs. Certains hommes se rappellent plutôt les idées et les objets d’après leurs rapports logiques ; d’autres, au contraire, par l’intermédiaire des mots ou des sons. Mais ces diversités individuelles de la mémoire n’ont rien de pathologique et ne doivent pas nous occuper ici ; elles servent seulement à faire comprendre comment cette faculté peut se trouver lésée diversement par les affections du cerveau et présenter des lésions partielles, et souvent très limitées.

La mémoire des vieillards, très vivace pour les faits anciens, très fugace pour les faits récents, établit une transition naturelle entre l’état physiologique et l’état pathologique ; car, dans la plupart des cas d’affaiblissement intellectuel ou de démence, on constate une lésion analogue de la mémoire, qui n’est qu’une exagération de ce que l’on observe habituellement dans l’âge avancé.

Dans l’état pathologique, non seulement la mémoire peut être diminuée relativement à certaines époques de l’existence et augmentée par rapport à d’autres ; mais, surtout à la suite de chutes sur la tête, on voit souvent se produire un phénomène plus singulier : toute une période de l’existence, par exemple celle qui a succédé immédiatement à la chute ou à l’explosion de la maladie cérébrale, peut se trouver comme rayée de la mémoire, et le malade, après la guérison des accidents aigus, ne conserve aucun souvenir de tous les événements qui se sont produits pendant ce laps de temps. Il y a quelquefois, dans ces cas, quelque chose de plus curieux encore : c’est que les faits qui se sont produits immédiatement avant l’accident sont eux-mêmes effacés de la mémoire. Dans certains cas d’extase, de somnambulisme, ou même dans d’autres affections cérébrales, on observe un trouble plus extraordinaire encore de la mémoire ; c’est, si l’on peut s’exprimer ainsi, un dédoublement de la personnalité. Le malade a, en quelque sorte, deux mémoires distinctes : l’une pour l’état de santé, l’autre pour l’état de maladie. Pendant les accès, il se rappelle tous les faits qui se sont passés dans les accès précédents et oublie ceux qui se sont produits dans leurs intervalles, et réciproquement, pendant les périodes de retour à la vie réelle, il y a un oubli absolu de ce qui a eu lieu pendant les