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conque avec leurs mains ou une portion de leurs vêtements (ce qui, malgré leurs précautions, arrive nécessairement très souvent), ils sont alors obligés de quitter ce vêtement pour ne plus le remettre, ou bien de se laver les mains, et ils passent ainsi une grande partie de leur temps dans des lavages sans cesse renouvelés. De là naissent de nouveaux doutes, de nouvelles perplexités et de nouvelles lenteurs dans l’accomplissement de tous les actes de la vie. Ils se parlent constamment à eux-mêmes, mentalement ou en remuant les lèvres, et se répètent les mêmes mots ou les mêmes idées, pour se convaincre que les objets touchés n’étaient pas malpropres ou que les lavages ont été suffisants. Non contents de se parler à eux-mêmes, ils éprouvent le besoin de faire répéter aux personnes qui vivent avec eux les mêmes mots ou les mêmes membres de phrases, parce que l’assurance réitérée d’autrui leur semble avoir plus de valeur que leur propre affirmation.

Ces malades ont une parfaite conscience de leur état ; ils reconnaissent l’absurdité de leurs craintes et cherchent à s’y soustraire, mais ils ne peuvent y parvenir, et sont, malgré eux, toujours entraînés à revenir sur les mêmes idées et à accomplir les mêmes actions. Tant que la maladie n’est pas très ancienne et n’est pas arrivée à ses dernières périodes, ils peuvent encore conserver en public toutes les apparences de la raison, et s’ils n’en faisaient eux-mêmes l’aveu, nul ne pourrait se douter qu’il s’accomplit parallèlement en eux un double travail intellectuel, l’un extérieur, dont on est témoin, et l’autre intérieur, qui n’a pour spectateur que l’intimité de la conscience. Ce travail exige une dépense excessive de force nerveuse et intellectuelle, donne lieu à une souffrance morale des plus pénibles, et pourtant, soit par suite de la surexcitation maladive, soit par l’effet de l’habitude lentement contractée, le système nerveux finit par s’adapter à cette déperdition de force exagérée, et les malades résistent, souvent pendant des mois et même pendant des années, à ce travail incessant, sans que leur santé physique en soit fortement ébranlée et sans que leur intelligence s’affaiblisse notablement. Il est remarquable, en effet, que cet état mental, qui se prolonge souvent pendant toute la vie, avec des alternatives irrégulières de paroxysmes et de rémissions quelquefois très prononcées, n’aboutit jamais à une véritable démence.