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Nous la caractériserons, faute de mieux, par son trait le plus saillant, par la disposition d’esprit la plus fréquente chez ces malades, en la désignant sous le nom d’aliénation partielle avec prédominance de la crainte du contact des objets extérieurs. Le fond de cette variété de maladie mentale est celui des délires partiels actifs et exclusifs, et non celui de la mélancolie. Esquirol[1] en a rapporté une observation des plus intéressantes, sous le titre de monomanie raisonnante, et cet exemple renferme à lui seul la plupart des caractères de cette variété de maladie mentale.

Pour la décrire, on doit distinguer les dispositions psychiques fondamentales qui existent chez tous les malades, des idées prédominantes et des actes qui en résultent, lesquels peuvent varier selon les cas.

Le fond véritable de cette maladie mentale consiste surtout dans une disposition générale de l’intelligence à revenir sans cesse sur les mêmes idées ou sur les mêmes actes, à éprouver le besoin continuel de répéter les mêmes mots ou d’accomplir les mêmes actions, sans jamais réussir à se satisfaire ou à se convaincre, même par l’évidence. Ces malades sont dans un état d’hésitation intérieure perpétuelle, et ils ne peuvent parvenir à arrêter ce travail incessant de leur pensée s’exerçant continuellement sur elle-même, sans jamais arriver à aucun résultat définitif. Aussi mon père a-t-il proposé avec raison de donner à cet état mental le nom de Folie du doute pour résumer, sous sa forme la plus générale, le fait psychologique principal qui lui sert de base.

Les idées délirantes qui préoccupent ces malades peuvent varier beaucoup, selon les personnes, selon le milieu où elles ont vécu, ou selon la circonstance qui a donné naissance à cette disposition maladive, mais une fois que l’esprit de ces aliénés s’est attaché à certaines séries d’idées particulières, celles-ci deviennent leur préoccupation dominante pendant des mois, pendant des années, et le travail intellectuel, concentré autour de ces idées principales et de leurs dérivés, multiplie successivement le délire par le délire, et entraîne à sa suite des conséquences intellectuelles et des actes qui se ressemblent beaucoup chez les différents malades, malgré la diversité de leurs conceptions délirantes prédominantes.

  1. Esquirol, Traité des maladies mentales ; Paris, 1838.