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conscience de leur état, ils s’en affligent et s’en alarment, et en exagèrent même tous les symptômes. Ils sentent que tout est changé en eux et au dehors, et se désolent de ne plus apercevoir les choses à travers le même prisme qu’autrefois. Ils ont honte, ou même horreur de leur propre personne, et se désespèrent en songeant qu’ils ne pourront jamais retrouver leurs facultés perdues. Se croyant atteints d’une maladie incurable, contre laquelle on ne peut rien, ils regrettent leur intelligence évanouie, leurs sentiments éteints, leur énergie disparue : ils ont peur de devenir complètement aliénés et de tomber dans la démence et dans l’idiotisme. Devenus insensibles et indifférents à tout, ils prétendent qu’ils n’ont plus de cœur, plus d’affection pour leurs parents et leurs amis, ni même pour leurs enfants. La mort de leurs proches ou des personnes anciennement aimées les laisse sans émotion ; ils ne peuvent plus pleurer, disent-ils, et n’ont de sensibilité que pour leur propre malheur. Profondément égoïstes, ils abusent de la bonté de tous ceux qui les entourent, et ils déplorent eux-mêmes cet égoïsme sans parvenir cependant à faire renaître en eux les bons sentiments.

La volonté est aussi impuissante chez eux que la sensibilité est émoussée. Ils veulent et ils ne veulent pas. Ils se sentent poussés à agir, mais ils n’ont la force de se décider à rien. Ils sont, en un mot, sans initiative et sans énergie, et restent le plus souvent dans l’immobile, faute de mobiles d’action.

Leur intelligence n’est pas aussi troublée que celle d’autres mélancoliques ayant, avec le même fond de tristesse, des conceptions délirantes de ruine, de culpabilité, de damnation, d’humilité ou de persécution. Ils ont sans doute la peur de faire du mal, la crainte de la mort ou de la folie, mais ce n’est pas par les idées délirantes que leur état mental est surtout caractérisé. Ils présentent seulement du vague et de la confusion dans les idées et une certaine lenteur dans les conceptions. Ils accusent eux-mêmes un grand vide dans leur intelligence, qui a perdu de son activité pour les sujets étrangers à leur propre personne, ou à leur santé morale. Ils sont incapables de lire et de s’occuper intellectuellement ; le moindre travail les fatigue ; suivre une conversation, écrire une lettre, leur devient difficile ; absorbés et distraits, ils ne peuvent que répéter mentalement ou de vive voix les mêmes idées tristes, ne parlent que d’eux-mêmes et