Page:Falret - Études cliniques sur les maladies mentales et nerveuses, 1890.djvu/502

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sensibilité, de l’intelligence et de la volonté, ainsi que le désordre des actes, sans trouble considérable de l’intelligence et sans incohérence du langage. Ces malades, en effet, examinés superficiellement, ne semblent pas présenter de délire : leur langage paraît suivi et raisonnable ; ils étonnent même par l’activité et la fécondité de leurs idées, par leur esprit et par leur imagination pleine de ressources, mais ils frappent également par la violence de leurs sentiments et de leurs impulsions instinctives, ainsi que par le désordre et la bizarrerie de leurs actes.

Ces aliénés sont sans cesse en mouvement et ont une activité physique correspondant à leur activité intellectuelle et morale. Ils dorment peu, se lèvent la nuit pour se promener dans la campagne, ils entreprennent des courses exagérées, des promenades, des voyages. Leur intelligence est comme en fermentation et conçoit mille entreprises, mille projets, souvent aussitôt abandonnés que conçus. Les idées pullulent dans leur esprit, et de cette production rapide des pensées résulte naturellement un certain désordre qui n’est pas comparable sans doute à l’incohérence de la manie, mais qui représente cependant une succession plus irrégulière d’idées qu’à l’état normal.

La mémoire est surexcitée comme les autres facultés. Les idées anciennes se présentent en foule à leur esprit et les malades s’étonnent eux-mêmes de la facilité avec laquelle ils retrouvent des souvenirs multipliés relatifs à des faits souvent insignifiants qu’ils croyaient depuis longtemps effacés de leur mémoire. Ils se rappellent de longues tirades des auteurs classiques qu’ils avaient apprises dans leur enfance et dont ils n’auraient pu retrouver que des fragments isolés avant leur maladie. Ils composent des discours, des poésies. Ils parlent et écrivent sans cesse et souvent avec une variété de termes et un bonheur d’expression qu’ils n’auraient pas eus à l’état normal. Ils causent ainsi sans interruption et racontent des histoires interminables, et en même temps ils se livrent aux actes les plus bizarres et les plus excentriques. Sont-ils en liberté, ils passent leur temps à faire des visites, s’installent pendant des heures entières chez des parents, chez des amis, ou même chez des personnes qu’ils connaissent à peine, et s’imposent à elles, sans aucune gêne et sans aucun respect des convenances ni des usages sociaux.