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lébile de la folie. Le médecin spécialiste reconnaît de très bonne heure chez ces enfants les signes de la prédisposition à cette maladie. Ces signes vont s’exagérant de plus en plus à mesure qu’ils avancent dans la vie, surtout à l’époque de la puberté et quelquefois plus tard ; l’incubation de la folie se produit ainsi chez eux peu à peu, et se confond pour ainsi dire, par nuances insensibles, avec l’état de prédisposition qui constitue comme le caractère normal de ces individus depuis leur naissance. Lorsque enfin la folie éclate ou devient évidente pour tous, il n’est pas facile de dire à quel moment elle a réellement commencé, attendu qu’elle s’est continuée presque sans interruption avec l’état mental antérieur du malade. Dans ces cas, rares du reste, où la maladie n’est que l’exagération du caractère naturel, le criterium tiré de la comparaison de l’individu avec lui-même cesse donc d’avoir son utilité. Or, c’est ce qui a lieu le plus souvent pour les cas de folie raisonnante qui sont fréquemment héréditaires et liés à la constitution primitive des malades.

Les philosophes et les magistrats ont encore admis beaucoup d’autres moyens théoriques pour distinguer la passion de la folie et l’erreur physiologique de l’idée délirante ; mais ces prétendus signes distinctifs sont encore plus insuffisants que les précédents, et ne peuvent résister à l’observation vraiment médicale.

Ainsi, par exemple, ils ont proclamé que chez l’homme sain d’esprit la passion avait des motifs et un objet réellement existant dans le monde extérieur, tandis que la folie n’en avait pas ; ils ont admis que l’homme passionné raisonnait dans le sens de sa passion, tandis que l’aliéné était inconséquent dans son langage et se livrait à des actes en contradiction avec ses paroles.

Ils ont prétendu, en outre, que l’aliéné manquait du discernement du bien et du mal, tandis que l’homme passionné ou criminel savait parfaitement quand il agissait mal. Ils ont ajouté que chez l’aliéné l’impulsion était irrésistible, tandis que l’homme sain d’esprit pouvait toujours se retenir au moment de l’accomplissement d’un acte ; mais c’est là évidemment une nouvelle forme du cercle vicieux déjà signalé précédemment à propos du libre arbitre ; car il resterait encore à mesurer, dans chaque cas particulier, le degré de résistance possible de la volonté ou le degré d’irrésistibilité de l’impulsion, et malheureusement, comme le disait mon père, il n’existe pas de Phrénomètre !