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adage : L’homme ne se connaît pas lui-même ! Quant aux aliénés, tous ceux qui ont observé un grand nombre d’individus atteints d’affections mentales savent très bien qu’il est plusieurs d’entre eux, ayant parfaitement conscience de leur état, qui luttent avec énergie contre des tendances maladives, contre des impulsions ou des idées délirantes qui s’imposent à eux, malgré eux, aliénés qui exagèrent même leur situation maladive, s’en affligent et s’en alarment, sans pouvoir pourtant en triompher, et sont au moral ce que les hypocondriaques sont au physique. M. Delasiauve, entre autres, a signalé la conscience de son état comme un signe psychique appartenant spécialement aux aliénés qu’il a réunis sous le nom collectif de pseudomonomanes. Ce caractère, excellent dans un grand nombre de cas pour distinguer la raison de la folie, n’est donc pas applicable à tous les faits, et ne peut être donné comme un criterium absolu.

Un troisième caractère, bien meilleur que les précédents, ayant une véritable importance, admis par tous les aliénistes, et qui sert tous les jours pour le diagnostic de la folie, c’est la comparaison de l’individu malade avec lui-même, aux diverses époques de son existence. Mon père[1], en 1838, a insisté avec beaucoup de raison sur la valeur incontestable de ce caractère, et le professeur Griesinger[2], l’indique également comme un des moyens les plus sûrs pour arriver au diagnostic de la folie.

Mais ce criterium, très utile dans le plus grand nombre des cas d’aliénation mentale, n’est pourtant pas applicable à tous les faits sans exception. Dans certains cas de folie raisonnante par exemple, dont nous parlerons tout à l’heure, ce moyen cesse de pouvoir être employé avec avantage.

Il est, en effet, quelques individus, prédisposés à la folie dès leur naissance, dont la maladie a pris sa source chez les ascendants, et qui, dès les premiers âges de leur existence, manifestent dans leurs idées, dans leurs sentiments ou dans leurs penchants, des particularités tellement notables, des bizarreries tellement prononcées, qu’ils se distinguent déjà de tous les autres enfants du même âge, et sont marqués dès leur enfance du stigmate indé-

  1. J.-P. Falret, article Aliénation mentale, Dict. de méd. usuelle ; 1838, et Maladies mentales et asiles d’aliénés ; 1864.
  2. Griesinger, Traité des maladies mentales, trad. franc., p. 136.