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folie et des caractères qui peuvent servir à établir une ligne de démarcation entre ces deux états, dans les cas difficiles. Tous ceux qui adressent aujourd’hui des objections aux médecins aliénistes, se font une arme de la difficulté que l’on a éprouvée jusqu’ici à définir la folie d’une manière rigoureuse et à poser une limite précise entre cet état maladif et l’état de raison.

Les caractères distinctifs que l’on a cherché à établir, comme criterium absolu dans le diagnostic de la folie, sont, en effet, insuffisants ; il en est de très utiles et de très importants, mais aucun d’eux ne peut s’appliquer à tous les cas sans exception.

Le premier de ces caractères, donné comme moyen de définir la folie et de la distinguer de la raison, a consisté à dire que la folie était la perte du libre arbitre. Cette définition est déjà ancienne ; elle a été admise par Morel[1], Renaudin[2] et M. Baillarger[3]. Mais définir ainsi la folie, c’est évidemment faire un cercle vicieux et répondre à la question par la question ; ce n’est pas la résoudre, car après une semblable définition, il reste toujours à se demander à quels signes on peut reconnaître si un individu soumis à l’examen a oui ou non perdu son libre arbitre. Ce caractère est donc inacceptable, même en théorie, et ne peut être d’aucune utilité dans la pratique.

Un second moyen de diagnostic proposé également pour différencier l’aliéné de l’homme raisonnable est le suivant : l’aliéné, dit-on, n’a pas conscience de son état maladif ; il éprouve des idées fausses, des impulsions involontaires, des illusions et des hallucinations, sans se rendre compte de leur caractère morbide et sans en apprécier la fausseté, tandis que l’homme raisonnable, atteint d’une maladie quelconque, sait toujours parfaitement qu’il est malade, et a conscience qu’il n’est pas dans un état normal. Mais ce prétendu caractère distinctif entre l’homme sain d’esprit et l’aliéné n’est valable ni pour l’un ni pour l’autre. L’homme en état de raison peut, en effet, souvent méconnaître chez lui-même l’existence d’un état morbide qui n’échappe pas à ceux qui l’entourent, et au point de vue psychique, il ne reconnaît presque jamais ses erreurs ; car ainsi que le dit l’ancien

  1. Morel, Études cliniques.
  2. Renaudin, Études médico-psychologiques.
  3. Baillarger, Leçons et Essai de classification.