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En Allemagne les médecins aliénistes du commencement de ce siècle, tels que Reil, Heinroth, Hoffbauer, etc., avaient aussi soutenu la réalité d’une folie sans délire ; mais, à partir de 1821, Henke, a commencé à réagir contre cette doctrine régnante. La lutte a été vive entre les médecins allemands depuis cette époque sur cette question capitale ; mais peu à peu l’opinion défendue d’abord par Henke a fini par triompher, et elle est aujourd’hui dominante en Allemagne. Le professeur Griesinger[1] proclame, en effet, très nettement qu’il n’existe pas de folie sans lésion de l’entendement ; il va même jusqu’à dire que la création de la manie sans délire par Pinel a été un malheur pour la science.

En France, dès 1819, mon père[2] a commencé la réaction contre l’opinion de Pinel, en niant absolument l’existence de la manie sans délire. Depuis lors, Marc, Georget et la plupart des élèves de Pinel et d’Esquirol ont cependant persisté dans la doctrine de leurs maîtres, et aujourd’hui encore on admet généralement la possibilité de la lésion isolée des facultés intellectuelles et instinctives dans la folie. Néanmoins, plusieurs médecins aliénistes commencent à abandonner cette manière de voir trop exclusive et, pour notre part, nous sommes convaincu que l’étude clinique plus complète et plus rigoureuse des faits réunis artificiellement aujourd’hui sous le nom de folie sans délire, conduira tous les observateurs consciencieux à reconnaître l’exactitude de la thèse qui est pour nous, dès à présent, une vérité démontrée, à savoir, qu’il n’existe pas, dans l’aliénation mentale, de lésion isolée des sentiments ou des instincts, sans perturbation simultanée des facultés intellectuelles, ou, en d’autres termes, qu’il n’y a pas de folie sans délire.

Ce n’est pas ici le lieu d’entrer dans l’examen approfondi de ce sujet ; mon intention est aujourd’hui seulement de le signaler à l’attention.

II.Limites entre la raison et la folie.

La seconde question psychologique à examiner, à l’occasion de la folie raisonnante, est celle des limites qui séparent la raison de la

  1. Griesinger, Traité des maladies mentales, p. 355.
  2. J.-P. Falret, la Manie sans délire, thèse, 1819.