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rieurs du cerveau, et M. Auburtin affirmant au contraire que cette localisation était définitivement démontrée par les travaux de Bouillaud et les faits rendus publics par lui et par ses élèves.

Broca, qui prit part aussi à cette discussion, émit des doutes sur la réalité de cette démonstration et déclara que, jusqu’à nouvel ordre, on devait encore regarder cette question comme n’étant résolue, ni en physiologie, ni en pathologie. Mais son attention ayant été dès lors appelée sur ce sujet, il eut bientôt l’occasion d’observer à l’hospice de Bicêtre les deux malades dont nous avons rapporté l’histoire détaillée[1], et ces deux observations, si curieuses et si concordantes sous le rapport de la lésion anatomique, amenèrent Broca à conclure[2] dans le même sens que Bouillaud, en ajoutant toutefois à son opinion un complément très important, qui lui permit de préciser plus exactement la nature des symptômes et le siège de la lésion anatomique.

Les deux faits observés par Broca offrent entre eux de nombreux points de contact et quelques différences secondaires. Nous n’avons pas à insister ici sur leurs points communs. Dans ces deux cas, le trouble de la parole et de la mémoire des mots était porté à un degré extrême, puisque ces malades n’avaient plus à leur disposition que quelques mots ou quelques syllabes qui leur servaient à exprimer toutes leurs idées. L’intelligence était sinon complètement intacte, du moins très notablement conservée. La langue, la bouche, les lèvres, en un mot tous les organes de la phonation se trouvaient dans un état d’intégrité parfaite, et pourtant, chez ces deux malades, la faculté du langage articulé était presque complètement supprimée. Tels sont les principaux caractères symptomatiques que Broca a constatés chez ces deux vieillards de l’hospice de Bicêtre, et qui lui ont servi de base pour créer la maladie nouvelle à laquelle il a proposé de donner le nom d’aphémie (de α privatif et ψημί, je parle). Cette maladie, d’après Broca, consisterait donc essentiellement, au point de vue symptomatique, dans la perte complète ou incomplète de la faculté du langage articulé, avec conservation de l’intelligence et intégrité des organes de la phonation.

  1. Broca, Obs. 49 et obs. 50.
  2. Broca, Mémoire.