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commença à bredouiller, puis à parler de plus en plus clairement, et il sortit de l’hôpital, après un mois de traitement, complètement guéri. Il put alors nous raconter ce qui lui était arrivé, et il ajouta que pendant la courte maladie qu’il venait de faire, non seulement il ne pouvait prononcer aucun mot, mais les mots eux-mêmes ne se présentaient pas à sa mémoire.

Observation LII. — Un confrère éminent raconta à Trousseau le fait suivant : Étant à la campagne, il s’était donné une entorse qui l’obligea à garder le lit pendant quinze ou vingt jours. Pendant qu’il parcourait les Entretiens de Lamartine, il s’aperçut tout à coup qu’il ne comprenait plus bien le sens de ce qu’il lisait. Il relut le passage et ne comprit pas mieux la seconde fois que la première. Attribuant cela à la fatigue, il mit le livre de côté et se reposa. Un quart d’heure après, il reprit le livre, relut le passage et ne le comprit pas mieux encore. Étonné et inquiet, il jette le livre et sonne son valet de chambre ; celui-ci arrive : il veut lui donner un ordre, mais il reste muet ; il s’épouvante alors, fait des efforts surhumains pour tâcher de s’exprimer, il ne le peut. Le domestique court chercher un médecin. Pendant ce temps, notre confrère s’explore en silence, il tourne sa langue dans tous les sens, il remue les bras, secoue les jambes et marche ; il se pince, et trouve partout sa sensibilité intacte. Il est clair pour lui qu’il n’a ni crampe ni paralysie. Il prend une plume et du papier, il veut écrire, et ne peut tracer ni un mot, ni même une syllabe. En attendant l’arrivée du médecin, il se demande quelle est la partie de son cerveau qui peut se trouver atteinte : « Ce n’est pas une hémorragie, disait-il, puisque j’ai conservé l’intégrité de mes mouvements ; ce n’est pas un ramollissement, puisque je n’éprouve ni crampe, ni contracture. » Le médecin arrive. Le malade, sans autre préambule, relève la manche de sa chemise, et fait signe avec l’autre main qu’il veut être saigné, ce qui fut fait. À mesure que le sang coulait, il se mit d’abord à dire un mot, puis un autre, et, six heures après, il ne conservait plus rien que le souvenir de ce qui s’était passé ; toutefois il se rappela à merveille la confusion de son esprit, confusion peu prononcée, mais qui cependant l’avait empêché de comprendre des choses que peu de temps auparavant, et aussitôt après, il compre-