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Cet homme avait été admis à l’hospice, huit ans auparavant, pour cause de débilité sénile. Il n’avait alors aucune paralysie ; il avait conservé tous ses sens, toute son intelligence ; mais ses membres, affaiblis par l’âge, se refusaient au travail, et sa main, devenue tremblante, ne pouvait plus écrire ; jamais d’ailleurs il n’avait pu écrire couramment.

Au mois d’avril 1860, il s’affaissa tout à coup sur lui-même. On le retint à temps pour l’empêcher de se blesser ; mais il paraissait avoir perdu connaissance. Il fut transporté à l’infirmerie et traité pour une apoplexie cérébrale. Il fut sur pied en peu de jours.

Il n’avait jamais présenté la moindre apparence de paralysie des membres ; mais sa fille, de qui je tiens ces renseignements, pensa qu’il avait la langue paralysée. Le fait est que, depuis le moment de son accident, il avait perdu subitement et définitivement la faculté de parler ; sa démarche était un peu incertaine, mais il ne boitait pas ; son intelligence n’avait subi aucune atteinte appréciable ; il comprenait tout ce qu’on lui disait, et son court vocabulaire, accompagné d’une mimique expressive, lui permettait d’être compris à son tour par les personnes qui vivaient habituellement avec lui.

Cet état se maintient sans changement jusqu’au 27 octobre 1861. Ce jour-là, en montant au lit, il perdit l’équilibre et se fractura le col du fémur.

La paralysie de la langue, qu’on nous avait annoncée, n’existait pas. Cet organe était bien mobile ; il n’était nullement dévié et offrait la même épaisseur à droite et à gauche. La déglutition se faisait bien ; la vue et l’ouïe étaient conservées ; les membres obéissaient à la volonté, à l’exception du membre fracturé qui la veille encore était aussi fort que son congénère. L’émission des urines et des matières fécales était régulière ; enfin, la sensibilité générale persistait sans altération, et le malade souffrait beaucoup de sa fracture qui était compliquée d’une assez forte contusion.

Aux questions qu’on lui adressait, cet homme ne répondait que par des signes, accompagnés d’une ou deux syllabes articulées brusquement avec un certain effort. Ces syllabes avaient un sens ; c’étaient des mots français, savoir : oui, non, tois (pour trois) et toujours. Il y avait un cinquième mot qu’il prononçait seulement