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bisme. La langue était parfaitement libre ; elle n’était nullement déviée ; le malade pouvait la mouvoir en tous sens et la tirer hors de la bouche.

Les deux moitiés de cet organe étaient d’une égale épaisseur. La difficulté de la déglutition que je viens de signaler était due à la paralysie commençante du pharynx et non à la paralysie de la langue ; car c’était seulement le troisième temps de la déglutition qui était laborieux.

Les muscles du larynx ne paraissaient nullement altérés ; le timbre de la voix était naturel et les sons que le malade rendait pour prononcer son monosyllabe étaient parfaitement purs.

L’ouïe avait gardé sa finesse ; Tan entendait bien le bruit de la montre ; mais sa vue était affaiblie ; quand il voulait regarder l’heure, il était obligé de prendre la montre lui-même avec sa main gauche et de la placer dans une position particulière, à 20 centimètres environ de l’œil droit qui paraissait meilleur que le gauche. L’état de l’intelligence n’a pu être exactement déterminé. Il est certain que Tan comprenait presque tout ce qu’on lui disait, mais ne pouvant manifester ses idées ou ses désirs que par les mouvements de sa main gauche, notre moribond ne pouvait pas se faire comprendre aussi bien qu’il comprenait les autres. Les réponses numériques étaient celles qu’il faisait le mieux, en ouvrant ou fermant les doigts. Je lui demandai plusieurs fois depuis combien de temps il était malade ? Il répondit tantôt cinq jours, tantôt six jours. Depuis combien de temps il était à Bicêtre ? Il ouvrit la main quatre fois de suite et fit l’appoint avec un seul doigt ; cela faisait vingt et un ans et l’on a vu plus haut que ce renseignement était parfaitement exact. Le lendemain je répétai la même question et j’obtins la même réponse. Mais, lorsque je voulus y revenir une troisième fois, Tan comprit que je lui faisais faire un exercice ; il se mit en colère et articula le juron déjà nommé que je n’ai entendu de sa bouche qu’une seule fois. Je lui présentai ma montre deux jours de suite ; l’aiguille des secondes ne marchait pas ; il ne pouvait par conséquent distinguer les trois aiguilles qu’à leur forme ou à leur longueur ; néanmoins, après avoir examiné la montre pendant quelques instants, il put chaque fois indiquer l’heure avec exactitude. Il est donc incontestable que cet homme était intelligent, qu’il pouvait réfléchir, et qu’il