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membre inférieur droit depuis le cou-de-pied jusqu’à la fesse. Aux questions que Broca lui adressa le lendemain sur l’origine de son mal, il ne répondit que par le monosyllabe Tan, répété deux fois de suite et accompagné d’un geste de la main gauche. Ayant pris des renseignements sur les antécédents de cet homme, Broca apprit qu’il était à Bicêtre depuis vingt et un ans. On interrogea tour à tour ses surveillants, ses camarades de division et ceux de ses parents qui vinrent le voir, et voici quel fut le résultat de cette enquête : il était sujet, depuis sa jeunesse, à des attaques d’épilepsie ; mais il avait pu cependant prendre l’état de formier, qu’il exerça jusqu’à l’âge de trente ans. À cette époque, il perdit l’usage de la parole, et ce fut pour ce motif qu’il fut admis comme infirme à l’hospice de Bicêtre. On n’a pu savoir si la perte de la parole était survenue lentement ou rapidement, ni si quelque autre symptôme avait accompagné le début de cette affection.

Lorsqu’il arriva à Bicêtre, il y avait déjà deux ou trois mois qu’il ne parlait plus. Il était alors parfaitement valide et intelligent, et ne différait d’un homme sain que par la perte du langage articulé ; il allait et venait dans l’hospice, où il était connu sous le nom de Tan ; il comprenait tout ce qu’on lui disait ; il avait même l’oreille très fine ; mais, quelle que fût la question qu’on lui adressât, il répondait toujours tan, tan, en y joignant des gestes très variés, au moyen desquels il réussissait à exprimer la plupart de ses idées. Lorsque ses interlocuteurs ne comprenaient pas sa mimique, il se mettait aisément en colère, et ajoutait alors à son vocabulaire un gros juron, un seul et le même indiqué à propos d’un malade observé par M. Auburtin. Tan passait pour égoïste, vindicatif, méchant, et ses camarades, qui le détestaient, l’accusaient même d’être voleur, défauts qui pouvaient être dus à la lésion cérébrale, mais qui cependant n’étaient pas assez prononcés pour qu’on ait songé à le faire passer dans la division des aliénés.

Il y avait déjà dix ans qu’il avait perdu la parole lorsqu’un nouveau symptôme se manifesta : les muscles du bras droit s’affaiblirent graduellement et finirent par être entièrement paralysés. Tan continuait à marcher sans difficulté, mais la paralysie du mouvement gagna peu à peu le membre inférieur droit, et, après avoir traîné la jambe pendant quelque temps, le malade dut se résigner à garder