Page:Falret - Études cliniques sur les maladies mentales et nerveuses, 1890.djvu/438

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ces huit dernières années, il avait souffert d’une affection du cœur qui avait déterminé des hémoptysies répétées ; par moments, il était en état de se livrer à son travail.

Le 4 juillet, il marcha beaucoup au soleil, et, dans la soirée, il eut des symptômes de congestion cérébrale : il resta pendant plusieurs jours dans un état de stupeur d’où on ne le tirait que pour le faire boire, mais dans lequel il retombait, aussitôt qu’il était abandonné à lui-même. Au bout de quelques jours il commença à revenir à lui et à comprendre ce qu’on lui disait ; toutefois, on remarqua qu’il avait beaucoup de difficulté à s’exprimer et que le plus ordinairement il faisait connaître ses besoins par des signes ; il n’y avait pas de paralysie de la langue ; il la remuait dans toutes les directions et pouvait articuler distinctement un petit nombre de mots ; il connaissait la valeur des mots prononcés devant lui ; mais ne pouvait se rappeler ceux dont il avait besoin pour s’exprimer, ni répéter ces mots après moi. Si je revenais à la charge, l’incapacité restait la même ; quoiqu’il fît les plus grands efforts pour vaincre la difficulté, il marmottait des mots qui avaient de la ressemblance avec ceux qu’il essayait d’articuler. Après qu’il eut fait de vains efforts pour répéter un mot après moi, je l’écrivis et il commença à l’épeler lettre par lettre, et, au bout de quelques tentatives, il fut en état de le répéter. Si on lui ôtait l’écriture, il ne pouvait plus le dire ; mais, après une longue étude du mot écrit et de fréquentes répétitions, il pouvait l’apprendre, le retenir et s’en servir ; il avait une ardoise sur laquelle étaient écrits les mots qui lui étaient le plus nécessaires et il y avait recours quand il avait besoin de parler. Il apprit ces mots peu à peu et étendit suffisamment son vocabulaire pour n’avoir plus besoin de son ardoise. Il lisait assez bien dans un livre imprimé, mais il hésitait sur certains mots. Quand il ne pouvait prononcer un mot, il était également hors d’état de l’écrire, jusqu’à ce qu’il l’eût vu écrit et qu’il eût appris à l’écrire, comme il apprenait à prononcer après des exercices répétés.

Il y a maintenant six mois qu’il est dans cette situation. Sa santé est satisfaisante, à l’exception d’une légère dyspnée et d’un œdème des jambes, dépendant de sa maladie du cœur. Il apprend sans cesse des nouveaux mots et peut se faire suffisamment comprendre, quoiqu’il ne trouve pas le mot propre, comme s’il parlait une langue