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tandis que l’autre resterait maîtresse d’elle-même, et devrait être considérée comme responsable de ses actes. Il est déjà très difficile d’admettre que l’intelligence puisse être troublée sur certains points, tandis qu’elle resterait saine sur tous les autres ; mais cette doctrine nous paraît bien plus incompréhensible encore quand on veut l’appliquer à la volonté et à la liberté morale, c’est-à-dire à ce qui constitue au plus haut degré l’unité de la personnalité humaine. Sans doute il existe des degrés divers de libre arbitre à l’état normal comme à l’état maladif. La nature et l’éducation établissent sous ce rapport de grandes différences entre les hommes qui ont plus ou moins l’habitude d’exercer de l’empire sur eux-mêmes, dont les impulsions instinctives sont plus ou moins impérieuses, et exigent par conséquent comme contre-poids une force de résistance plus ou moins énergique. Il existe également chez les aliénés des degrés très variables d’irrésistibilité des impulsions maladives ; depuis le délire partiel le plus limité jusqu’à l’accès de fureur le plus incoercible, il y a une foule d’états intermédiaires, dans lesquels les malades conservent, jusqu’à un certain point, la possibilité de résister à l’entraînement de leur délire. C’est même sur cette persistance du libre arbitre dans une certaine mesure chez les aliénés, que repose le principe des punitions et des récompenses qu’on emploie pour obtenir la discipline et la soumission de ces malades dans les asiles, et pour favoriser la réaction qu’ils doivent exercer sur eux-mêmes, dans le but de contribuer à leur guérison. Mais ces degrés divers du libre arbitre que le philosophe constate à l’état normal, et que le médecin utilise à l’état maladif, ne peuvent être admis en pratique, lorsqu’on envisage l’aliénation mentale au point de vue médico-légal. Si l’on adoptait ce principe, on verrait surgir à l’instant les difficultés les plus insolubles et les plus inextricables, parce qu’on ne possède aucun moyen certain pour discerner avec exactitude le degré de liberté ou d’entraînement irrésistible dans chaque cas particulier. À plus forte raison, est-il impossible d’admettre que dans le même moment, un même individu puisse être déclaré responsable de certains actes et irresponsables de certains autres. Aussi la seule manière pratique de poser les questions médico-légales relatives à l’épilepsie et à l’aliénation mentale est celle qui est consacrée par la législation actuelle : l’individu soumis à l’examen était-il sain d’esprit ou aliéné