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volontiers à croire que l’excitation maniaque est en dehors de son action, et ne reconnaît d’autre principe qu’elle-même, qu’elle naît spontanément, sans être précédée de crise, et souvent même à une époque très distante des premiers accès. »

Après cette citation, il ne nous paraît pas nécessaire de chercher d’autres preuves pour établir que les accès de délire peuvent se produire, chez les épileptiques, en dehors de l’action immédiate d’attaques convulsives, ayant précédé de quelques heures ou de quelques jours l’explosion du trouble mental. Pour compléter cette démonstration, nous nous bornerons à rapporter l’observation très intéressante qui va suivre ; nous l’empruntons au Dr Cavalier[1]. Mieux que toutes les réflexions auxquelles nous pourrions nous livrer, cette observation fera connaître la marche bizarre et irrégulière que peut affecter, pendant le cours de l’existence d’un épileptique, l’alternative des accès convulsifs et des accès maniaques.

Observation VIII. — Pierre S…, sergent du génie, était d’une forte constitution, d’une taille élevée, d’un tempérament sanguin. La régularité de sa conduite lui avait acquis l’amitié de ses camarades et l’estime de ses chefs. Enrôlé dans le génie en 1813, il fit la campagne d’Espagne, et en 1828 et 1829, celle de Morée. Il se trouvait à Lyon, en 1831, lors des mouvements politiques qui troublèrent cette ville. Saisi par une troupe d’ouvriers qui voulaient le jeter dans le Rhône, il éprouva une émotion si violente, qu’il lui survint une maladie dont on ne peut actuellement apprécier la nature. Il devint sujet, en outre, à des attaques d’épilepsie, légères d’abord, et qui restèrent telles longtemps, puisque Pierre S… put demeurer au service jusqu’en 1843. Ces attaques étaient alors fort rares ; deux ans entiers se sont même écoulés une fois sans manifestation épileptique. Il ne fut soumis à aucun traitement. Admis à la retraite, il vint aussitôt habiter Montpellier.

Peu de temps après, en proie à un accès de fureur, Pierre S… se précipita dans la rue, et, sans doute sous l’influence de quelque hallucination ou de quelque illusion, il essaya de désarmer une sentinelle qui se trouvait sur son passage. On eut beaucoup de peine à

  1. Dr Cavalier, Thèse, Fureur épileptique, 1850.