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trés différents, et ayant conduit leurs auteurs à des résultats souvent opposés, ont eu néanmoins un côté par lequel elles se rapprochent. Elles ont contribué, en définitive, au même résultat, c’est-à-dire à ébranler l’édifice de la classification actuelle, et à effacer de plus en plus la limite artificielle établie entre les délires partiels et les délires généraux. D’un côté, mon père, tout en respectant jusqu’à nouvel ordre la distinction fondamentale posée par Pinel et par Esquirol entre les aliénations partielles et les aliénations générales, a, dans tous ses travaux, dirigé son attention et celle des autres observateurs sur l’existence d’un trouble général, plus ou moins manifeste, dans tous les cas de délire partiel même le plus limité[1].

D’un autre côté, Morel[2], avant d’avoir complètement abandonné la classification régnante, comme il l’a fait depuis[3], avait déjà commencé à attaquer la base même de cette classification, en exagérant le principe posé par mon père.

Il ne s’était pas borné, en effet, à proclamer l’existence d’un trouble plus ou moins étendu de l’intelligence et des sentiments, dans toutes les aliénations partielles. Il avait été plus loin. Il avait franchi la limite arbitraire posée entre les deux classes d’aliénation mentale, et il avait fait passer résolument toutes les monomanies dans la manie, en leur imposant le nom de manies systématisées. Cette suppression absolue de toute distinction entre les délires partiels et les délires généraux était évidemment une réaction exagérée contre les idées régnantes, tant qu’on continuait à faire reposer la classification sur le principe de l’étendue du délire ; mais cette exagération même, qui ne pouvait être généralement adoptée, prouvait du moins la vérité de notre assertion, relativement à l’existence d’un trouble général dans toutes les aliénations partielles. Elle avait cette utilité, par son excès même, de faire sentir le vice fondamental du principe qui sert de base à cette classification.

Pendant que mon père et Morel concouraient ainsi à ébranler, par leurs travaux, les fondements de la classification de Pinel et d’Esquirol, d’autres auteurs, également en France (pour ne pas

  1. Voy. J.-P. Falret, Des maladies mentales et des asiles d’aliénés ; Paris, 1864.
  2. Morel, Études cliniques sur les maladies mentales ; 1852 et 1853.
  3. Morel, Traité des maladies mentales ; 1860.