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comme au physique ; ils constatent souvent eux-mêmes que leur mémoire a diminué ; ils ont des absences ; ils commettent à chaque instant des fautes graves dans les travaux qui leur sont confiés et auxquels ils étaient le plus habitués ; on apprend quelquefois qu’on n’a pu les conserver dans les maisons où ils étaient occupés, à cause de ce trouble appréciable, quoique léger, survenu dans leurs facultés intellectuelles. Il en est de leur caractère comme de leur intelligence ; ils sont devenus indifférents à tout, aux personnes mêmes qui leur étaient les plus chères, ou bien ils se livrent de temps en temps à des emportements et à des violences qui ne leur étaient pas habituels autrefois. Dans d’autres cas, ils deviennent faciles à émouvoir comme des vieillards, et versent des larmes pour le motif le plus futile, comme les malades atteints d’hémorragie cérébrale. Enfin leur énergie de volonté a baissé comme leur intelligence ; ils sont indécis, craintifs, pusillanimes, se laissent conduire comme des enfants. La tendance hypocondriaque qu’ils manifestent fréquemment, quoique en apparence motivée par la gravité de leur maladie, est souvent portée à un si haut degré qu’elle doit être considérée comme une nouvelle preuve de trouble intellectuel.

Tels sont en général ces malades, lorsqu’on les étudie attentivement ou quand on interroge avec soin les personnes qui vivent constamment avec eux, et auxquelles ces troubles légers de l’intelligence n’échappent pas aussi facilement qu’au médecin appelé pour la première fois à les examiner.

Dans ces cas, la maladie peut suivre deux marches différentes : ou bien elle reste pendant très longtemps stationnaire, sans aggravation bien notable ; ou bien, au contraire, il survient tout à coup, quelquefois même dans l’espace d’une nuit, un délire maniaque très intense, avec prédominance d’idées de grandeurs, qui oblige à conduire le malade dans un asile d’aliénés ; il acquiert alors tous les caractères du trouble intellectuel propre aux aliénés paralytiques, qui n’ont pas passé par cette période préalable de paralysie sans délire. Dans d’autres circonstances enfin, le délire, au lieu de se présenter sous la forme maniaque, peut revêtir petit à petit les caractères de la démence, qui devient successivement de plus en plus prononcée. Ainsi se trouve reconstituée l’unité de la maladie, malgré la différence de son début.