Page:Falret - Études cliniques sur les maladies mentales et nerveuses, 1890.djvu/200

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’êtes jamais malade ? — Non, jamais. — Est-ce que vous ne vous rappelez pas que vous étiez paralysé ? — Mais si, j’ai une paralysie interne dans la tête, dit-il, en se réveillant, en bégayant, et en s’animant un instant pour retomber bientôt dans sa demi-somnolence. — Y voyez-vous bien ? — Oh ! oui. — Comment êtes-vous devenu empereur tout à coup ? — Eh bien, parce que je le suis. — De quel pays êtes-vous empereur ? » Il ouvre alors subitement les yeux, et accentue avec vivacité et presque avec colère : « Mais je vous dis de Paris. — Qu’est-ce que vous ferez de votre argent ? » Il ne répond d’abord pas ; puis, tout à coup, se met à dire : « Qu’est-ce que vous voulez que j’en fasse ? je le garderai. » Je l’interroge sur le lieu de sa naissance, son âge, sa profession, et les divers détails de sa vie, que je connaissais par le premier interrogatoire. Il répond en général d’une manière assez exacte ; de temps en temps, il semble ne pas entendre la question, être absorbé ou distrait, et, oubliant ce qu’il veut dire, il se borne à répéter la question qu’on lui pose. Il dit ne pas avoir de rêves pendant la nuit, ne pas entendre de voix, ne pas avoir mal à la tête, et ne pas sentir sa langue embarrassée pour parler. « Où avez-vous mis tout l’argent que vous avez ? — Chez moi. — Dans quel endroit ? — Dans l’armoire. — Est-ce en billets ou en or, cet argent ? — C’est en argent. — Vous ne seriez pas à l’hôpital si vous aviez tant d’argent ? » Je ne puis parvenir à le faire répondre à cette question, et il finit par dire : « Mais qu’est-ce que vous voulez que je réponde ? — Pourriez-vous marcher si vous étiez debout ? — Parbleu ! — Mais vous êtes paralysé ? — Mais non du tout, je suis guéri. — Est-ce que vous voulez toujours rester ici ? — On ! non, je crois que je vais en sortir ces jours-ci. — Où irez-vous demeurer ? — Eh bien, dans Paris. — Dans quel endroit de Paris ? — Dans la rue Rambuteau. — Dans quel mois de l’année sommes-nous ? — Dans le mois d’avril. — Dans quel mois êtes-vous entré ici ? » Il cherche un instant, répète la question, puis finit par dire : « Eh bien, dans le mois d’avril (machinalement, parce qu’il venait de prononcer précédemment le même mot). — Quand serez-vous nommé empereur ? — Mais, je le suis…, oui, je le suis…, et nous aurons 500 milliards de vin, dit-il, en s’animant et en accentuant vivement. — Quel genre de maison voulez-vous habiter ? » Il se met à rire ; puis, après avoir cherché un instant, il