Page:Falret - Études cliniques sur les maladies mentales et nerveuses, 1890.djvu/20

Cette page a été validée par deux contributeurs.

avec un acharnement que rien n’apaise, le même membre de phrase ou le même mot pendant des journées entières, d’une manière tout automatique et sans un instant de répit.

Eh bien ! qui ne comprend combien ce tableau, applicable à un certain nombre de maniaques suraigus, que nous sommes tous les jours appelés à observer, diffère profondément de celui de la plupart des autres aliénés affectés de délire général avec excitation ?

Indépendamment de la situation physique toute différente, que voyons-nous, en effet, quand nous abordons dans la cour d’un asile d’aliénés, ou dans sa cellule, un maniaque ordinaire, même en état de très vive agitation ?

Il vient à nous aussitôt qu’il nous aperçoit ; il nous interpelle ou nous injurie ; il nous adresse avec une extrême volubilité, et souvent avec irritation, ses plaintes ou ses imprécations ; il intercale fréquemment au milieu de son délire plus ou moins incohérent, des idées ou des interprétations qui lui sont fournies par les diverses circonstances qui se passent autour de lui, par les choses qu’il voit, qu’il entend, ou qu’il perçoit au moment même. En un mot, son délire, quelque incohérent qu’il soit, s’alimente autant, et même plus, par les sensations extérieures actuelles que par la spontanéité des souvenirs, des idées ou des sentiments. Le malade, au lieu de délirer intérieurement et d’avoir rompu tout rapport avec le monde extérieur, comme dans le sommeil ou dans les délires aigus, est dans un état analogue à l’état de veille. Il délire parallèlement sur les idées qui se succèdent dans son esprit avec une étonnante rapidité, et sur les impressions qui lui viennent à chaque instant du monde extérieur.

La différence physique et morale qui existe entre ces deux espèces de maniaques, que la classification actuelle réunit cependant dans une même classe, nous paraît fondamentale, même au point de vue purement symptomatique. Elle établit, selon nous, entre ces deux variétés de la manie plus qu’une différence de degré. Que dira-t-on, si l’on découvre qu’à ces différences essentielles dans les symptômes correspondent des différences non moins importantes sous le rapport de la marche ; si l’on arrive, par exemple, à prouver que les maniaques offrant les caractères physiques et moraux du premier état guérissent ou meurent rapidement, dans un temps très court,