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Ce malade, entré à Bicêtre, dans le service de M. Delasiauve, y est resté pendant trois jours dans l’état précédemment décrit ; mais le quatrième jour, à la visite du matin, on le trouva métamorphosé, se croyant possesseur de 500,000 fr., et empereur du Brésil. Je vins le voir, le 24 mars, à l’infirmerie de la cinquième division de Bicêtre, et je le trouvai dans l’état suivant : il était au lit, couché sur le dos ; il a été agité dans la matinée ; on a été obligé de lui mettre la camisole. Dans le moment où je l’observe, il est calme, ne fait aucun mouvement, et ne parle pas ; sa figure est immobile, presque sans tremblement des muscles de la face, beaucoup moins que la première fois que je l’ai observé ; il ne remue pas la tête, et de temps en temps seulement imprime quelques mouvements à ses bras ; on le lève, et il marche avec difficulté, ses jambes peuvent à peine le soutenir ; pupille droite toujours un peu plus dilatée que la gauche. En lui faisant montrer la langue, il se produit un tremblement très prononcé des muscles de la face, des lèvres et de la langue, il répond assez bien à chaque question ; mais, après chaque réponse il se tait, et n’a pas de tendance à parler. Il sait qu’il est à Bicêtre, dit avoir vu sa femme il y a huit jours, et répond en bégayant, et avec un tremblement très manifeste des lèvres, qu’il est à l’hôpital depuis six mois. Je lui demande à quoi il pense, il se met alors à sourire, et ne répond pas ; je lui demande s’il pense à être empereur, il hésite un instant, puis se met à dire, avec satisfaction : « Oui, je le suis. — Qui vous a dit que vous étiez empereur ? — Eh bien, je le suis réellement. — Vous ne l’étiez pas il y a quelques jours ? — Oh ! que si. — Comment savez-vous que vous êtes empereur ? — Eh bien, je le sais bien. — De quel endroit êtes-vous empereur ? » Il tend à s’endormir, et ses paupières s’affaissent. Je cherche à lui faire ouvrir les yeux en lui répétant la même question, et alors il me répond machinalement : « Eh bien, c’est de Paris que je suis empereur. — Vous m’aviez dit que c’était du Brésil ? — Non, répond-il machinalement, et sans avoir l’air d’y attacher d’importance. — Combien avez-vous de millions ? — 175 milliards. — Vous m’en donnerez bien la moitié ? — Oui. — Est-ce de revenu ou de capital ? — De capital. — Souffrez-vous quelque part ? — Nulle part. — Vous avez donc sommeil ? — Oui, monsieur. — D’où vous est venu tout cet argent ? — Eh bien, de ma mère. — Vous