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grande, il conçoit les choses les plus grandes et les plus opposées ; enfin, toujours il parle, rit, lit à haute voix, et, tous les quatre ou cinq jours, il éprouve un paroxysme d’agitation, poussé à un degré tel que ses forces physiques en sont épuisées.

Arrivé à Paris, son état ressemble exactement à celui que nous venons de décrire, seulement les traits en sont plus marqués : l’agitation, au lieu de se calmer, s’accroît chaque jour ; le sommeil est presque nul. M… parle avec une volubilité indicible ; son délire d’orgueil et d’ambition est au comble ; il est l’homme le plus distingué de l’univers sous le rapport des sciences, des lettres et de l’industrie ; le gouvernement anglais, dit-il, veut le faire passer pour fou, parce qu’il redoute son immense influence. Il lui suffira de paraître à Madrid pour renverser le ministère et être porté en triomphe au pouvoir. Selon lui, une demi-heure de travail par semaine lui suffira pour diriger toutes les maisons de commerce de l’Europe ; en très peu de temps, il doit acquérir une très grande fortune, il deviendra millionnaire ; aussi l’argent n’est rien pour lui, il en dispense à tort et à travers, veut acheter tout ce qu’il voit et tout ce qu’il imagine devoir favoriser la réalisation de ses vastes projets. Son caractère est aussi altéré que son intelligence, il ne supporte pas la moindre contradiction, éclate aussitôt en injures et en blasphèmes, et est capable de se porter aux actes les plus violents et les plus dangereux. La privation de sa liberté est considérée par lui comme le plus grave affront fait à son honneur, et pour assouvir sa vengeance il ne redoute pas la mort et est prêt à tous les sacrifices.

Ce malade, observé très peu de temps, pendant cette période d’exaltation excessive, n’a pas paru présenter d’embarras appréciable de la parole ; mais on sait que l’exaltation maniaque masque momentanément les symptômes de la paralysie, et d’ailleurs ne doit-on pas voir déjà des signes de lésions de la motilité dans l’impossibilité où s’est trouvé M…, dès le principe de sa maladie, de prendre son enfant dans ses bras et de soutenir le moindre poids, ainsi que dans l’épuisement excessif des forces qu’on observe après les paroxysmes d’agitation qui surviennent tous les quatre ou cinq jours ? Revenu bientôt dans son pays, M… a éprouvé, pendant plusieurs mois, une rémission très notable, qui a fait croire aux uns