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font la moindre objection ou même qui lui présentent une facture à acquitter ; il croit au-dessous de sa dignité de toucher de l’argent, et il charge de ce soin son interprète ou son maître d’hôtel.

Son activité est désordonnée, effroyable ; à peine s’il se repose pendant quatre heures, il est sans cesse en haleine, parle avec complaisance de politique et de tous ses projets et écrit beaucoup ; tout lui semble facile. Il demande des audiences à la reine et au prince Albert, achète des objets de prix pour leur en faire cadeau, et cherche à intéresser les dames de la cour à la réussite de ses desseins. Il interprète mal tout ce qui se passe autour de lui ; le trouble que ses paroles et ses actions produisent sur ceux qui l’entourent, la moindre résistance qui lui est faite, la peur même que son état inspire, et qu’il constate sur tous les visages, tout est considéré par lui comme une preuve de trahison. Sous l’influence de ces idées, il change d’hôtel, va loger au palais qu’il vient d’acheter, et après avoir menacé de mort une femme qui restait avec lui, sort en robe de chambre dans les rues de Londres, va réclamer la protection de la police, et alors il est arrêté et conduit dans une maison d’aliénés ; il s’y montre si violent, qu’on est obligé de le réprimer ; il fait des blessures à l’un de ses domestiques, se plaint amèrement de sa détention, et se croit en proie aux persécutions du gouvernement espagnol. Cependant, pour prouver qu’il jouit de toutes ses facultés, il écrit des comédies, des brochures, des articles. Il annonce, en termes injurieux, son divorce à sa femme, qu’il aimait beaucoup avant sa maladie, médit de ses amis, leur envoie des cartels, et rédige des accusations contre les agents du gouvernement. Au milieu de cette activité excessive, les idées orgueilleuses pullulent dans sa tête : il trace un cadre complet de réforme constitutionnelle, financière, administrative, militaire ; il s’occupe même des règlements ; il se proclame le génie de la guerre, va faire des conquêtes, devenir le maître du monde, et déposer le fruit de ses conquêtes aux pieds de la reine d’Espagne. C’est Dieu qui l’appelle, dit-il, à cette magnifique destinée ; c’est lui qui a avivé sa mémoire et son intelligence au point qu’il a le souvenir de toutes les circonstances de sa vie depuis l’âge de cinq ans, et que tout ce qu’il a lu est présent à son esprit, qu’il peut indiquer la page où se trouve chacune des pensées qu’il cite. L’activité de son intelligence et de sa mémoire est en effet très