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après, au commencement de janvier 1851, il commença à se plaindre de mauvaises digestions, et plus tard, d’une affection du foie ; il se fit soigner, mais son état s’aggrava ; il disait en pleurant, à sa femme, que c’en était fait de lui, qu’il allait mourir ; en même temps, il présentait une grande confusion d’idées, éprouvait de la difficulté à établir une liaison entre elles, ne pouvait écrire deux lignes, et ses bras n’avaient la force de soutenir ni son enfant ni le plus léger poids. Le trouble de l’intelligence fut passager ; mais l’état de dépression, de mélancolie, de découragement et d’incapacité de vaquer à ses affaires, eut une durée de trois mois environ, à des degrés d’intensité variables.

Depuis, il paraît avoir recouvré complétement la santé, et au commencement de septembre 1851, il entreprit un voyage à Londres ; mais, dès le début de ce voyage, il manifesta subitement un état d’exaltation qui ne fit que s’accroître aussitôt qu’il fut arrivé au terme de son voyage ; le jour de son départ, il sentit que sa mémoire et toutes ses facultés avaient acquis une force extraordinaire ; obligé de s’arrêter dans un endroit sablonneux et dépourvu de végétation, il conçoit le projet de fonder dans cet endroit une colonie agricole ; il écrit dans ce sens à un de ses amis, et en même temps il engage un de ses collègues à publier des brochures dans toutes les langues de l’Europe. Arrivé à Londres, l’exaltation de ses sentiments et de ses idées prend un nouvel essor ; il parle de l’exposition avec enthousiasme et une physionomie rayonnante de joie, veut acheter des échantillons de tout ce qui le frappe pour fonder un muséum dans son pays. Mille autres idées bouillonnent dans son esprit : il veut relever le nom et la puissance des Espagnols en exerçant une grande influence dans l’esprit des Anglais ; dans ce but, il fait des achats nombreux, donne de somptueux dîners, propose à une réunion de capitalistes d’exécuter dans Londres même un chemin de fer, et offre de prendre des actions pour une somme considérable.

Il agit comme un prince, reste en habit de cour depuis le matin jusqu’au soir, trace les plans d’un commerce gigantesque, et achète un palais pour y établir la maison centrale.

M… est d’ailleurs irascible, querelleur et plein d’orgueil ; il a sans cesse des pistolets sur sa table, et appelle en duel tous ceux qui lui