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Nous voyons ces malades dans un état presque fébrile, ayant la peau sèche et chaude, les lèvres fuligineuses, la langue chargée, un amaigrissement extrême, en un mot, un état physique qui doit donner les plus vives inquiétudes pour leur vie. Nous observons en même temps chez ces aliénés un état mental qui se rapproche beaucoup plus du délire des maladies aiguës que de la manie proprement dite. L’agitation des mouvements est portée au plus haut degré. Le malade ne peut rester un instant en place ; il a un besoin incessant de remuer dans toutes les directions et de parler sans interruption, avec une sorte de rage. Il se livre souvent à un crachotement perpétuel, ou bien sa voix s’altère et sa bouche se dessèche, par suite de sa loquacité intarissable ; et cependant, rien ne peut arrêter ce flux non interrompu de paroles, et cette agitation fébrile des mouvements, qui arrive quelquefois jusqu’au point de déterminer des eschares dans les parties du corps les plus saillantes et le plus en rapport avec les objets extérieurs.

L’état mental des aliénés atteint de cette manie suraiguë est aussi différent que leur état physique de celui de la plupart des autres maniaques. Je résumerai les caractères de leur délire en disant qu’ils sont en quelque sorte dans un état de rêve, tandis que les autres participent beaucoup plus des caractères de l’état de veille. Ces malades ne font aucune attention à ce qui se passe autour d’eux. Un voile épais les sépare du monde extérieur. C’est à peine si de temps en temps quelques-uns des objets qui les entourent sont aperçus par eux, ou si quelques-unes des paroles prononcées en leur présence arrivent jusqu’à leur intelligence, après avoir frappé leurs oreilles.

Chez ces maniaques suraigus, le délire est tout intérieur ; il s’alimente presque entièrement par les souvenirs ou les idées qui surgissent spontanément dans leur esprit, et nullement par les impressions venues du dehors.

Ce délire est en outre plus vague ; moins suivi et plus incohérent que celui des autres maniaques. C’est à peine si en écoutant les mots sans suite articulés incessamment par ces malades, on arrive à y trouver un sens, ou même à comprendre la tendance dominante de leurs idées, et la nature des pensées qui les agitent. Quelques-uns même, dans cet état de manie suraiguë, se bornent à répéter,