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Deux jours après son entrée, je l’observai attentivement, et, au milieu d’un flux de paroles continuel, et assez peu suivi, je constatai chez elle une grande activité intellectuelle, avec traces déjà évidentes de débilité, des idées de grandeur et de fortune assez nombreuses, un besoin de mouvement continuel, et un embarras de parole qui se manifestait de temps en temps par une suspension et un effort avant la prononciation de certains mots, mais qui était loin de constituer un bégayement prononcé. La plupart de ses idées de fortune et de grandeur étaient relatives à un général qu’elle avait dû épouser, disait-elle, qui lui aurait apporté une fortune considérable, et qui, par suite d’un malentendu, aurait épousé à sa place une autre femme, vieille et laide, à laquelle il avait apporté 500,000 livres de rente, et le titre de baronne. Tel est, en quelques mots, le fond du récit qu’elle faisait à chaque instant et à tout venant ; mais les détails de ce récit, ainsi que les explications qu’elle donnait des divers faits, variaient à chaque instant et devenaient impossibles à comprendre, dans l’ignorance où l’on était des faits réels, sans doute mélangés à chaque instant dans son récit avec des inventions et des mensonges. Tantôt elle disait qu’elle avait habité, pendant cinq ans, au Palais-Royal avec le général ; tantôt que celui-ci lui avait promis une somme considérable par contrat de mariage ; tantôt, au contraire, elle prétendait n’avoir vu le général qu’une ou deux fois. Dans d’autres moments, elle disait ne posséder qu’une lettre du général, dans laquelle il ne lui parlait ni de mariage ni de fortune, mais dont la possession seule lui valait 200,000 francs ; d’un côté, elle se désolait d’avoir manqué un si beau mariage, et se plaignait amèrement des personnes auxquelles elle attribuait ce malheur, et de l’autre, elle parlait constamment des 200,000 francs qui devaient provenir de la lettre du général, et de son mariage futur avec lui, aussitôt que l’autre femme serait morte, ce qui ne devait pas tarder à arriver. Indépendamment des conceptions délirantes multiples et variées, concentrées autour de ce délire prédominant, cette malade exprimait à chaque instant d’autres idées qui trahissaient les mêmes tendances ; elle parlait constamment, avec l’expression de la satisfaction la plus vive, de sa beauté d’autrefois ; elle ajoutait que, si elle paraissait actuellement vieillie et négligée, cela tenait aux mauvais traitements qu’on lui faisait subir, et à l’ab-