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l’âge de douze ans, elle fut obligée de venir en aide à ses frères et sœurs, dont toute la responsabilité retomba sur elle, surtout après la mort de sa mère. Obligée de travailler presque sans repos, elle eut de plus la douleur de voir mourir sa sœur, qui lui laissa des dettes assez nombreuses qu’elle eut beaucoup de peine à acquitter, au bout de plusieurs années de travail. Venue à Paris, elle s’y établit comme modiste, et mariée à trente-deux ans, elle eut de nouveau le chagrin de voir se dissiper, par de mauvais placements, la fortune de son mari ; elle fut très péniblement affectée de voir souffrir son enfant de la pénurie dans laquelle ils se trouvaient ; enfin sa sensibilité, déjà profondément affectée, reçut un dernier coup par la perte imprévue de son mari qu’elle trouva mort subitement en allant lui souhaiter sa fête. Peu de temps après, elle apprit également le décès de son frère, qui lui enlevait sa dernière ressource. C’est de cette époque, janvier 1849, que date l’invasion des premiers symptômes de sa maladie. Elle éprouva alors une vive céphalalgie dans toute la tête, accompagnée de fièvre, de perte d’appétit, de constipation, de prostration au physique et au moral, de dégoût de toutes choses, et enfin, d’embarras dans la prononciation, qui, selon l’expression de la malade lors de la rémission, coïncidait avec la paresse. Quelque temps après, des idées de richesse et d’ambition commencèrent à surgir dans son esprit ; mais la malade prétend en avoir reconnu à cette époque la fausseté, tout en étant impuissante à les chasser ; elle s’est imaginé qu’un oncle devait la rendre riche, et, chose étonnante, dit-elle plus tard en racontant ce fait, elle n’avait pas d’oncle. Elle se mit alors à disposer de cette fortune dont elle croyait devoir hériter, et qui devait s’élever à une centaine de mille francs ; elle se voyait possédant un bel appartement, un beau mobilier et jouissant, elle et son enfant, d’une maison bien montée. Sa conviction était si forte à cet égard, qu’elle en parlait aux personnes qui l’entouraient. Elle fut sujette, à cette époque, à des saignements de nez assez fréquents ; elle s’éveillait la nuit en accusant une douleur de tête très intense et s’écriait : « Quel malheur affreux ! je sens ma tête s’en aller. » Contrairement à ses habitudes, elle écrivait des lettres pleines d’injures aux personnes qui lui devaient quelque argent ; son intelligence alors se troubla de plus en plus, et ce trouble se manifesta d’abord par un