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humaine. Cette exagération infinie dans les prétentions de l’orgueil et de la vanité est un des caractères les plus saillants de ces idées de grandeur spéciales, et mérite de nous arrêter un instant. Ces idées gigantesques n’existent pas toujours ; mais, quand on les observe, elles sont presque pathognomoniques. Les malades ne se bornent pas alors à se croire forts dans leur état, possesseurs d’un héritage, ou à s’élever simplement à un grade ou une position supérieurs à ceux qu’ils occupent réellement ; leur délire ne s’exerce plus seulement dans la sphère des choses, fausses sans doute, mais encore admissibles, et que l’on ne peut déclarer absurdes a priori. Ils sont arrivés aux dernières limites de la puissance, de la richesse, de la force et du talent ; dès lors, les mots de général, prince, roi, empereur, châteaux, palais, millions, diamants, se rencontrent à chaque instant dans leur bouche, non seulement, ainsi qu’on l’a dit, comme expression d’une tendance de leur esprit à l’orgueil et à la grandeur en général, mais à la grandeur sous sa forme la plus élevée et la plus gigantesque. Ils possèdent tout, tout est à eux (ce mot tout est caractéristique et joue le même rôle dans le langage des paralytiques, que le mot on dans celui des persécutés et des mélancoliques) ; ils vont épouser des princes ou des princesses, entreprendre des spéculations variées, faire des voyages, bâtir des maisons, des palais ; ils font des projets grandioses, possèdent de beaux vêtements, de beaux meubles, les objets les plus précieux ; enfin ils sont doués d’une force physique exubérante, de tous les talents, sont poètes, peintres et surtout musiciens, et se vantent de chanter comme les premiers artistes. Souvent aussi ils ne se bornent pas à appliquer à eux-mêmes leurs idées de grandeur ; ils les reportent sur leurs parents, leurs amis, et même quelquefois sur ceux qui les entourent, auxquels ils décernent des titres, de la fortune et des dignités. Tel est le cercle constamment le même que parcourent leurs idées de grandeur avec une monotonie bien remarquable. Les habitudes et l’éducation des individus modifient bien certains mots et certains noms ; il existe également des différences assez grandes dans le nombre et la variété des idées, peut-être selon l’activité intellectuelle primitive des malades ou plutôt selon la variété de forme de la maladie. Mais, malgré ces nuances secondaires, il est impossible de n’être pas frappé de l’extrême ressemblance qui existe