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Par cela même qu’ils sont aliénés, ils présentent beaucoup plus d’inconséquences et de contrastes qu’on ne le croirait au premier abord, et que leur langage même ne permettrait de le supposer ; mais leurs idées sont parfaitement arrêtées dans leurs bases principales ; ils les exposent toujours à peu près de la même façon, avec quelques détails en plus ou en moins, selon les périodes, mais avec les mêmes données fondamentales ; ils sont, en un mot, bien éloignés de changer d’idées à chaque instant au gré du hasard ou selon la volonté de chaque interlocuteur ; ils sont fermes et solides sur leurs principes, les soutiennent avec opiniâtreté et conviction, et cherchent même quelquefois, quoique beaucoup plus rarement, à les faire partager et à les imposer à ceux qui les entourent.

Les idées de grandeur, chez les aliénés paralytiques, présentent des caractères généraux précisément inverses : nous n’avons pas à y revenir ici ; nous les avons résumés précédemment, à propos des idées délirantes en général. Nous avons dit qu’elles étaient très nombreuses, changeantes dans leur ensemble et leurs détails, sans base et non motivées, enfin sans conciliation entre elles, ou bien faiblement soutenues à l’aide d’explications provisoires, fournies par l’inspiration du moment ou par le caprice de l’interlocuteur. Mais nous devons entrer dans quelques autres détails qui s’appliquent aux idées de grandeur en particulier. Ce délire des grandeurs, en effet, est non seulement spécial par les caractères que lui imprime l’état général de l’intelligence, mais par sa forme même, qui, malgré des nuances individuelles secondaires, présente chez les divers paralytiques une uniformité bien remarquable, par suite de laquelle tous ces malades semblent comme jetés dans le même moule. Ceux mêmes qui, à certaines périodes ou dans certaines variétés, paraissent se soustraire à cette loi générale, finissent ordinairement par présenter les idées de grandeur types sous leur forme habituelle. Il est même bien curieux de constater combien est grande la part de l’espèce morbide, dans la nature et la formule de ces idées délirantes, et combien est restreinte celle de l’individu et des circonstances accidentelles. Quelle que soit, en effet, la condition sociale, l’éducation, la nationalité des malades, on retrouve chez eux, dans les diverses classes de la société et dans les divers pays, non seulement la même tendance générale vers l’orgueil et la vanité, mais