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comprendre ; inspirés de Dieu, en conversation mystique avec des anges ou des génies, ils vivent ordinairement dans un monde imaginaire, peuplé de visions ou d’êtres mystérieux et invisibles, et ce monde, dans lequel ils se plongent souvent avec délices dans des communications extatiques, est trop élevé pour qu’ils daignent en descendre souvent pour entrer en relation avec de simples mortels.

Cependant, malgré cette réserve et ce silence qu’ils prétendent souvent s’imposer, par respect pour leur dignité imaginaire, ils restent toujours aliénés, et, comme tels, ils éprouvent fréquemment le besoin de faire part de leurs idées, de leurs projets, de leurs réformes, des principes de leur religion ou de leur philosophie ; ils ne peuvent résister au désir de communiquer leurs vastes conceptions, leurs projets sublimes, leurs réformes profondes ; aussi aiment-ils à s’entretenir de leurs préoccupations habituelles avec certains individus privilégiés qu’ils choisissent comme plus capables de les comprendre ; ils passent également de longues heures à mettre par écrit leurs projets ou leurs conceptions, ou bien des proclamations, des protestations, et des lettres pour se plaindre aux souverains actuels de la persécution dont ils se croient les victimes, et qui les empêche de produire au grand jour le fruit de leurs méditations, de leurs veilles, ou bien encore d’un don ou d’une inspiration particulière de la Providence. Eh bien, ces aliénés partiels orgueilleux, comme nous l’avons dit précédemment pour tous les aliénés partiels en général, ont systématisé leur délire. Ils ont sans doute un certain nombre d’idées délirantes ; ils ne sont pas monomaniaques, tant s’en faut, dans le sens rigoureux du mot. Ils ont un ensemble d’idées fausses, politiques, religieuses, ou autres, coordonnées d’une certaine façon, expliquées et interprétées d’une manière quelconque, par suite du travail prolongé de composition auquel s’est livrée, pendant plusieurs années, leur intelligence malade. C’est ce système général de délire qu’ils exposent, souvent avec lucidité, qu’ils ruminent sans cesse, et dont ils tirent, soit de vive voix, soit par écrit, une foule de conséquences en rapport avec ces idées premières. Ils sont bien loin, sans doute, d’être, dans leur conduite, aussi conséquents avec leurs idées délirantes qu’ils semblent l’être en théorie, et lorsqu’on se borne à les entendre parler.