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orgueilleuses, puisqu’il existe des mégalomanes qui ne sont pas paralytiques, et que l’on observe d’ailleurs des idées d’orgueil dans d’autres formes d’aliénation. Ce qu’il importe surtout de signaler, ce sont les caractères spéciaux de ces idées de grandeur, par opposition aux idées ambitieuses des autres aliénés. Les caractères des idées délirantes que nous avons énumérés précédemment, et qui s’appliquent aux idées de grandeur, comme à toutes les autres, nous semblent constituer le véritable criterium qui permet de les distinguer des idées orgueilleuses survenant accessoirement ou d’une manière prédominante dans les autres formes de maladies mentales.

Néanmoins quelques développements nous paraissent encore indispensables à cet égard, à cause de l’importance du sujet. On rencontre, dans la plupart des asiles d’aliénés, un certain nombre de malades dont le délire prédominant est constitué par des idées orgueilleuses. Ces aliénés sont ordinairement dans l’établissement depuis de longues années, ne sont nullement paralytiques, et ne le deviendront jamais. Le nombre en est, il est vrai, beaucoup plus restreint qu’on ne le croirait au premier abord, d’après la prédominance si grande de la passion de l’orgueil chez l’homme sain ; mais la plupart des auteurs qui ont écrit sur les maladies mentales en ont cité quelques exemples. Ces aliénés partiels semblent faire exception à la règle générale d’après laquelle la conduite ordinaire des aliénés est en désaccord complet avec leurs idées délirantes. Ils ont en général le port majestueux, le regard hautain, le geste impérieux, en un mot, les attributs extérieurs de leur rôle ; ils conservent, dans leur maintien, une dignité en rapport avec leur dignité imaginaire. Ils cherchent à imposer à ceux qui les entourent, et prennent réellement au sérieux le rôle éminent qu’ils se croient appelés à jouer. Réformateurs politiques et surtout religieux, prophètes d’un avenir meilleur pour l’humanité, apôtres d’une religion nouvelle qu’ils viennent prêcher à l’espèce humaine, fondateurs d’une nouvelle dynastie ou d’un nouvel empire, ils attendent avec patience, quelquefois avec irritation, le moment où doit commencer leur mission. En attendant, ils s’y préparent par des lectures, des réflexions, des écrits, qui doivent illuminer le monde et réformer la société. Ils gardent souvent un silence majestueux, pour ne pas prostituer leurs idées ou leur mission, par un contact impur avec des hommes incapables de les