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ce chiffre admissible, il passera, sans transition, et sans paraître s’apercevoir de l’espace immense qu’il franchit, aux chiffres élevés et prodigieux dont il parle habituellement, aux millions, par exemple. En résumé, il peut exister chez ces malades, surtout au début, quelques tentatives d’explication ou de conciliation de leurs idées délirantes ; mais le plus souvent, elles sont excessivement incomplètes et imparfaites. Le motif le plus insignifiant suffit pour les satisfaire, et ils se contentent de la plus mauvaise raison. En général d’ailleurs, ils ne cherchent ces explications que quand on leur fait une objection ou quand on leur signale une contradiction ; la réponse qu’ils font alors est le plus souvent toute de circonstance, fournie par la première idée qui surgit dans leur esprit au moment même, ou bien provoquée par la manière dont l’interlocuteur a posé la question : il arrive ainsi que l’explication qu’ils donnent d’un fait dans un moment n’est plus la même que celle qu’ils ont donnée du même fait dans un autre moment. En un mot, ils ne semblent s’inquiéter ni de la vérité ni de la possibilité des faits qu’ils racontent ; les idées qu’ils énoncent sont de pures assertions qui surgissent spontanément dans leur esprit, qu’ils répètent souvent les mêmes, parce qu’elles s’y reproduisent plus fréquemment, mais qu’ils ne sentent presque jamais le besoin de motiver, de concilier entre elles, ou de comparer avec la réalité.

Ce tableau général de l’état de l’intelligence et des caractères des idées délirantes chez les aliénés paralytiques, opposé à celui des autres aliénés, suffirait déjà, selon nous, pour caractériser cette forme de maladie mentale, au milieu de toutes les autres ; néanmoins nous ne pouvons pas terminer ce chapitre sans parler du caractère de satisfaction et de grandeur que revêtent le plus souvent les idées prédominantes de ces malades. La constance de ces idées a pu être justement contestée ; mais leur fréquence est telle, que plusieurs auteurs les ont considérées avec raison comme un des meilleurs signes distinctifs de cette affection. Néanmoins, tant qu’on se borne au terme général d’idées ambitieuses, d’idées orgueilleuses, alors même que pour en étendre encore la sphère, on emploie l’expression plus exacte d’idée de satisfaction, ce signe ne peut avoir la valeur différentielle qu’il mérite réellement. Il ne suffit pas de dire, en effet, qu’il y a souvent dans la paralysie générale prédominance d’idées