Page:Falret - Études cliniques sur les maladies mentales et nerveuses, 1890.djvu/118

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lement ces aliénés acceptent sans contrôle les idées qui leur viennent en tête, mais ils sont d’une crédulité extrême, et vont même souvent jusqu’à dire ce qu’on veut leur faire dire. Quant aux projets qu’ils conçoivent également sans motifs, ils les considèrent comme réalisables ou même comme réalisés, sans avoir réfléchi à leur possibilité, aux moyens de les accomplir, aux obstacles qu’ils rencontreraient, ou sans se rendre compte des procédés qu’ils auraient employés pour les réaliser.

Enfin ces idées, non motivées et non justifiées isolément, sont de plus contradictoires les unes avec les autres, sans que le plus souvent les malades cherchent des moyens d’explication, de conciliation ou de coordination entre elles. À chaque instant, ces aliénés racontent de petits romans mal coordonnés, et composés de faits isolés et contradictoires entre eux ; en un mot, les idées délirantes qu’ils émettent parallèlement portent toutes le cachet de la contradiction la plus évidente.

Ils disent être à la fois plusieurs personnages différents, habiter dans le même moment des localités différentes, et s’attribuent des qualités, des dignités et des titres, qui ne peuvent exister simultanément chez la même personne. Si l’on demande, par exemple, à un paralytique, d’où lui vient tel ou tel titre, telle ou telle fortune qu’il prétend avoir, le plus souvent il ne peut en donner aucune explication plausible, et d’ailleurs il se préoccupe très peu de cette explication : lorsqu’on lui pose cette question ou d’autres analogues, il n’hésite pas à répondre immédiatement, car les réponses ne l’embarrassent jamais ; mais il donne la première réponse qui lui vient en tête : il dit, par exemple, que cela lui est venu tout à coup, au moment où il s’en doutait le moins, qu’on le lui a dit ; d’ailleurs, le plus souvent, il ne s’inquiète nullement de savoir quelle en est l’origine. Quelquefois encore il va un peu plus loin, et tente une explication du moment, qu’il changera un instant après, si on lui pose de nouveau la même question : il dit, par exemple qu’il vient de faire un héritage, mais il ne peut expliquer ni de qui lui vient cet héritage, ni comment il lui est parvenu. Ou bien, s’il remonte encore un peu plus haut dans ses explications, il ne tarde pas à s’arrêter aussitôt qu’il rencontre un obstacle insurmontable pour lui ; il dira, par exemple, qu’il a reçu 5,000 francs (ce qui peut être vrai), et de