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cet égard une distinction importante : il existe chez les paralytiques un certain nombre d’idées prédominantes qui paraissent à un observateur superficiel assez fixes pour faire croire à une persistance aussi grande des conceptions délirantes que chez les autres aliénés. Mais ces idées elles-mêmes, qui peuvent durer pendant plusieurs mois, sont loin d’être constantes chez le même malade ; elles sont souvent remplacées, pendant le cours de la maladie, par plusieurs autres idées ayant ce même caractère de durée limitée ; c’est ainsi que l’on voit souvent le même paralytique, qui se croyait d’abord tel ou tel personnage, changer plusieurs fois de rôle pendant la durée de sa maladie. Du reste, quand nous disons que les idées des paralytiques sont mobiles et changeantes, nous n’avons pas principalement en vue ces idées prédominantes sur lesquelles on a appelé trop exclusivement l’attention, et qui d’ailleurs n’ont pas la fixité qu’on leur a attribuée ; nous voulons surtout parler des idées flottantes, sortes de délires accidentels, qui circulent à chaque instant dans la tête des paralytiques et s’y remplacent sans se heurter, idées qui germent spontanément, disparaissent de même ; tableaux mouvants de conceptions délirantes qui défilent successivement dans l’esprit des malades, sans presque laisser de traces de leur passage. Ces délires accessoires, qui viennent se grouper autour des délires principaux, naissent spontanément et se modifient à chaque instant, soit dans leur ensemble, soit dans leurs détails, selon les circonstances et souvent aussi selon les besoins de la conversation.

Un autre caractère, plus difficile à formuler, réside dans la nature même des idées délirantes habituelles chez ces malades ; elles ont presque toutes en effet un caractère absurde, inconsistant, bizarre, inconcevable, qui leur donne un cachet tout particulier, sur lequel nous reviendrons tout à l’heure. Ces idées sans base, sans consistance, ces projets en l’air, semblent surgir spontanément dans l’esprit de ces malades ; ils les énoncent immédiatement après les avoir conçus. Alors même que ces idées sont très extraordinaires, elles sont acceptées par eux sans contrôle et sans preuves, par cela seul qu’elles se sont produites dans leur esprit. Ce sont de véritables conceptions délirantes, dans l’acception rigoureuse du mot, qui surviennent sans être amenées ou motivées par rien. D’ailleurs non seu-