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maladie ; mais le nombre des idées délirantes est toujours beaucoup plus grand chez eux que chez la plupart des autres aliénés partiels. Ces malades ont ordinairement une grande fécondité d’imagination, une aptitude singulière à créer de nouveaux délires ou à modifier ceux qu’ils ont déjà. Cette multiplicité d’idées est si considérable, que le plus souvent le même malade épuise en peu de temps la série des conceptions délirantes qui suffiraient à défrayer le délire d’un grand nombre d’autres aliénés. Ainsi le même malade se croit à la fois un chanteur émérite, un grand poète, possède des richesses nombreuses, veut faire des entreprises de diverses natures, se marier avec une princesse, bâtir un château, entreprendre un voyage, être en même temps empereur et roi, etc. L’aptitude intellectuelle qu’ils possèdent pour créer sans cesse de nouveaux délires et inventer à chaque instant de nouveaux détails, pour compléter ceux qu’ils ont déjà, est si prononcée chez eux, qu’ils racontent constamment avec l’accent de la vérité et de la conviction une foule d’histoires qu’ils donnent pour des réalités, dont ils auraient été témoins, et qui ne sont que des mensonges évidents ou de pures inventions de leur esprit.

Leur disposition à l’invention est si grande et leur conviction du moment paraît si entière, que souvent, lorsque les choses qu’ils racontent ne sont pas absurdes a priori, et ne paraissent pas absolument impossibles dans la position où se trouvent les malades, on est obligé d’avoir recours à des renseignements étrangers pour pouvoir faire, dans leurs récits, la part de la vérité et du mensonge. Cette tendance ne se manifeste pas seulement dans le passé par des récits mensongers multipliés ; elle se trahit également dans l’avenir par une foule de projets en l’air que le malade se plaît à communiquer à tout venant, projets variables d’un jour à l’autre, souvent oubliés peu de temps après avoir été conçus, et qui n’ont de commun entre eux que le cachet uniforme que leur imprime la direction générale, le plus souvent ambitieuse, de leur intelligence.

Non seulement les idées délirantes sont nombreuses, avons-nous dit, mais elles sont mobiles, variables et changeantes. Ce second caractère découle en partie du précédent, mais il mérite de nous arrêter un instant. Ces idées sont mobiles, d’un moment à l’autre, dans leur ensemble et dans leurs détails. Néanmoins il faut faire à